Page:Pradez - Les Ignorés.djvu/38

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
32
les ignorés

Il se turent un moment, puis Michel reprit :

— Lorsque vous avez connu mon père autrefois, il n’était pas marié, tante Suzanne ?

— Non, nous nous sommes connus tout enfants. Pourquoi me fais-tu cette question ?

— Vous êtes si bonne pour moi. Je me demande quelquefois pourquoi vous êtes si bonne.

— Moi aussi, je veux te faire une question, dit-elle en le regardant dans les yeux. Qu’est-ce que tu demandais au bon Dieu, tout à l’heure, dans le cimetière ?

Il détourna brusquement la tête et la tint un moment baissée vers le sol. Dans le crépuscule son profil droit rappelait d’une façon étonnante les traits de Valentin à son âge. Seulement Valentin n’avait pas l’air réfléchi que les études du séminaire avaient mis au front de son fils. Il dit enfin d’un ton bas :

— Je demandais à être délivré de la passion du mouvement, de la campagne,… de la chaîne de toutes les passions de la vie !

Suzanne marcha un moment muette. Elle se repentait d’avoir arraché à Michel le secret de sa pensée, et elle ne savait pas exactement ce qu’il convenait de lui répondre. Si c’était déjà le prêtre qui parlait, son rôle à elle était le silence, mais si c’était l’enfant de Valentin tel qu’il l’avait engendré, il y avait plus de vingt ans, si c’était son fils adoptif, à elle, qui lui confiait quelque angoisse inconnue, elle devait parler. Elle dit enfin :