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fausse route

— Qu’est-ce que nous faisons ici, vous et moi ? Allons nous-en. Venez. Allons-nous-en vite. Déjà dix heures qui sonnent… oh ! entendez-vous, déjà dix heures.

Suzanne laissa les dix coups vibrer et s’éteindre avant de quitter son abri.

À l’entrée de la ville, elle vit les deux jeunes gens se séparer, et elle hâta le pas pour arriver en même temps que Michel afin de ne pas le laisser s’inquiéter devant une porte muette. Elle marchait très vite dans une sorte de rêve. Toutes ses idées allaient et venaient dans sa tête, s’entrechoquant, ballottées et confuses. Il n’y en avait qu’une qui fût très distincte. C’était plus qu’une idée, c’était un fait qui lui crevait les yeux à l’aveugler. Coûte que coûte, il fallait compter avec lui.

Quand elle eut atteint sa demeure, la boutique des Charpon était déjà close, barricadée pour la nuit dans son armure de planches, mais à travers les joints de la boiserie on voyait un filet de lumière filtrer, et à l’intérieur on entendait des voix.

Suzanne regarda un moment la devanture fermée, rassurante, et elle balbutia le cœur serré :

— Une Charpon !

Et elle s’expliqua l’attention qu’avait toujours prêtée Angélique à tous ses mouvements, à elle. Peut-être un sentiment latent avait-il préservé cette enfant de la contamination d’un vulgaire entourage.

Au moment où elle introduisait la clef dans la serrure, Michel la rejoignit.