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les ignorés

— Voilà, voilà.

Il lui arrivait depuis quelque temps d’avoir ainsi des distractions subites et d’oublier son service.

Elle se faufila entre les tables du restaurant encombré de monde, circulant adroitement à travers les obstacles, apporta deux verres et les remplit jusqu’au bord du liquide bouillant. Les deux hommes, l’un noir à la barbe touffue légèrement givrée, l’autre, plus jeune, blond avec un œil d’acier, froid et scrutateur, tous deux la dévisageaient.

Comme elle s’en allait sans s’attarder une seconde, le plus âgé l’interpella :

— Décidément, Micheline, vous devenez maussade.

Elle sourit à peine, découvrant le bas de ses dents de neige et elle s’éloigna sans répondre.

Désappointé, son interlocuteur s’accouda sur la table et interrogea à demi-voix :

— Eh bien, qu’en penses-tu ?

— Elle a le teint trop blanc, malsain. Quant à cette tache dans la joue…

— Une misère, n’est-ce pas ? Si tu savais comme cela la tourmente. Cela devient une obsession et si je t’ai demandé de venir aujourd’hui, c’est pour pouvoir la rassurer à fond. Elle me fait pitié, cette femme, car, à part sa vanité du diable, elle est honnête comme de l’or.

Il se renversa sur sa chaise, réfléchit un moment, les yeux au plafond, puis, comme ils avaient fini leur