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les ignorés

Une profonde cicatrice partant de l’aile du nez coupait la joue droite de Micheline d’une ligne oblique. L’expression de la physionomie était changée, l’harmonie des traits gâtée, l’irritante beauté détruite.

Son petit paquet à la main, elle glissait dans les rues hâtivement, avec une crainte folle et absurde d’apercevoir dans ce quartier inconnu un visage familier, d’entendre des exclamations de surprise, d’avoir des explications à donner ! Mais jusqu’à l’omnibus qui devait la conduire à la gare, elle passa absolument inaperçue.

Ce ne fut que lorsque le train eut dépassé les trois ou quatre premières stations que commença à la mordre l’inquiétude de l’accueil qui l’attendait à son foyer.

Si elle revenait telle qu’elle était partie quatre ans auparavant, Jules, avec sa folie d’amour, suffisante à triompher jadis de tous les obstacles du dehors, l’aurait peut-être reprise sans trop d’amertume ; mais avec cette balafre au travers du visage, défigurée, sans autre motif pour légitimer son retour que la perte de sa beauté, sans excuse pour expliquer son abandon, son long silence d’indifférence, comment allait-elle être reçue ? À mesure que le train courait à travers la campagne et dévorait l’espace, sa tentative de tomber à l’improviste au milieu d’habitudes prises sans elle, entre ce père, consolé, sans doute, après ce laps de quatre années de solitude, et une petite fille inconnue, qui n’avait jamais posé des yeux conscients sur sa mère, cette tentative hardie, caressée là-bas à