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vivre à paris

Il la considéra longtemps avec une attention poignante. L’avenir ne pouvait plus lui offrir de joie complète. C’était une Micheline défigurée qui venait lui offrir une réparation presque forcée, une nouvelle Micheline qu’il faudrait apprendre à aimer autrement. Non, il n’y avait plus pour lui de félicité enivrante, mais de son ancienne passion mutilée une pitié saine et féconde se dégageait peu à peu. Les traces de souffrance visibles partout, dans l’effrayante maigreur, dans l’attitude humiliée, et surtout dans l’expression amère de cette bouche qu’il avait vu rire si souvent autrefois, le poignaient.

Il se retourna tout à coup et appela :

— Mariette !

La petite fille se cramponna à lui avec un cri. Trop effrayée par cette étrangère pour oser pleurer, elle était restée oubliée à côté de son père, tiraillant son habit sans qu’il y prît garde. Il lui montra Micheline et lui souffla à l’oreille :

— C’est la maman !

Et comme l’enfant ne bougeait pas, il la poussa doucement vers sa mère en ajoutant, d’une voix rauque d’émotion :

— Va l’embrasser, va !

Mais la petite fille, obstinée, se raidissait :

— Non ! Non !

Et le dos collé aux jambes de son père, les mains accrochées à son vêtement, elle ajouta défiante :

— Qu’est-ce qu’elle a dans la figure ? C’est vilain !