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— Mais ses motifs, protesta Philippe vivement, tu les comptes donc pour rien ? Elle m’enlève Isabelle. Depuis des années elle la détache de moi tous les jours davantage. C’est comme une corde qui s’allonge, s’allonge. Sans toi, bientôt je n’aurais plus osé l’embrasser ; elle me devenait tellement étrangère que moi, son père, j’avais, en l’abordant, la timidité d’un écolier. Depuis que je te l’ai donnée, elle me revient. Je la sens souffrir, comme moi, de cette cruelle séparation. Comment faut-il faire pour ne pas comparer deux influences si différentes, la tienne et l’autre ?

— C’est que moi, dit Jacques après une seconde de réflexion, depuis que nous nous connaissons, tu m’as traité comme un frère. Tu m’as toujours montré le même visage et les mêmes sentiments. Je ne t’ai pas vu tout à coup renier tes anciennes protestations. Mais elle, après l’avoir brûlée au feu de ta passion, tu l’as dédaignée par satiété. Une femme honnête ne peut pas supporter, sans révolte, une pareille insulte. Tu l’as soumise à un supplice au-dessus de ses forces. Dès qu’Isabelle a eu l’âge de comprendre ce qui se passait à côté d’elle, cette souffrance muette l’a attirée mystérieusement. Ce qui est arrivé devait arriver,