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Page:Premare - Lettre inédite du P. Premare sur le monotheisme des Chinois, edition Pauthier, 1861.djvu/20

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dre et s’unir, et par ce moyen composer et former des êtres divers. Mais pour la Raison, certainement cela n’a ni affection, ni vues, ni desseins, ni pensée, et ne peut rien faire. Seulement sitôt que la Matière est durcie, la Raison se trouve au milieu. » Et peu de lignes après il ajoute : « Li est un pur vide fort vaste ; cela n’a jamais laissé aucune trace après soi. Il est indubitable qu’il ne peut rien faire : c’est uniquement la Matière qui, par ses ferments et assemblages divers, produit toutes choses. »

Je ne rapporterais pas un tel passage si j’étais moins sincère ou que je me défiasse de ma cause. Je réponds donc que Tchou-hi dit ici que Li n’est qu’un vide fort vaste, et Hioung sse-li[1] lui fait dire que « Thaï-khi est la Raison des êtres matériels ; qu’il est très-réel, et que ce n’est point une chose vide et creuse. » De la même manière il répète dans le Recueil ce qu’il a dit cent fois, « que Thaï-khi n’est que la Raison ; » et six lignes après, il assure que « Thaï-khi n’est que la Matière. » Qu’on accorde Tchou-hi avec lui-même si on veut faire valoir son autorité. Je dis plus ; quand on ne pourrait donner un bon sens à ces sortes de passages, tout ce qu’il en faudrait conclure, c’est que Tchou-hi paraît n’admettre dans l’univers que la matière des êtres qui le composent et la raison qui distingue chaque être de tous les autres. Nos philosophes d’Europe n’expliquent-ils pas la machine du monde avec la matière et le mouvement ? Ont-ils besoin de recourir sans cesse à Celui qui a imprimé le mouvement à la matière pour avertir par là qu’ils ne sont point des athées ?

Si les philosophes chinois ne reconnaissaient en effet dans le monde que Khi et Li, tels qu’ils sont exposés dans le passage qu’on m’objecte, l’auteur du dictionnaire Pin tsee-tsien[2] eût-il jamais pu parler comme il fait dès le début de son ouvrage ? Il rapporte premièrement le fameux axiome des Soung-jou,

  1. L’un des Lettrés chargés par l’empereur Khang-hi de réunir en un corps d’ouvrage toutes les œuvres de Tchou-hi. Ce recueil, dont la préface porte la date de 1713, et que nous possédons, forme 66 kiouan ou livres. (G. P.)
  2. Yu-wen-tseu est l’auteur du dictionnaire intitulé : Pin-tseu-tsien, imprimé la 15e année Khang-hi, c’est-à-dire en 1676. C’est dans l’explication du caractère Thien, ciel (p. 9), qu’on trouve les passages traduits dans le texte. (Pr.)