Il fallait, enfin, recourir à une source d’informations qu’il convient de n’utiliser qu’avec la plus grande circonspection, la tradition locale.
La mémoire des Turgot est encore très répandue à Bons ; une habitante, dont le visage dénote encore l’origine exotique, m’a déclaré, au bord même de la fosse d’Étienne-François, que c’était lui qui avait ramené de Cayenne son grand-père, tout jeune enfant, qui resta jusqu’à sa mort au service de la famille.
On m’a montré, chez le président du Conseil de fabrique, un portrait d’Étienne-François, gravé par L.-J. Cathelin en 1704, d’après la peinture de F. Drouais le fils, de 1757 ; et un autre, d’Anne-Robert-Jacques, gravé en 1763 par Watdet d’après Cochin.
M. Legrand, charron à Bons, a, dit-il, souvent entendu son aïeule raconter qu’on avait ramené « M. Turgot » de Paris, qu’on avait ouvert le cercueil — pour montrer le corps aux habitants, m’est-il répondu sur la question par moi posée — et que le défunt, habillé, portait notamment une chemise à jabots et un collier.
L’imagination populaire est féconde ; il serait toutefois surprenant qu’elle eût, en l’espèce, créé le roman du transfert de Paris à Bons ; il convient cependant de remarquer qu’en fait l’aïeule de M. Legrand n’a personnellement rien pu voir, du moins avec conscience, étant née en 1787 ; elle aurait seulement transmis aux siens le récit de ses propres parents ; il serait imprudent de retenir ce témoignage indirect.
J’ai visité les églises voisines de Soumont, d’Ussy, de Villers-Canivet ; j’ai examiné les archives de Soumont et d’Ussy ; j’ai consulté M. Leclerc, de Falaise, dont les connaissances historiques et archéologiques sont justement appréciées ; M. Bluet, archiviste du Calvados, n’a pu me fournir l’indication d’aucun document ; de même, à Paris, j’avais inutilement dépouillé les minutes du commissaire au Châtelet dans le ressort duquel était compris l’hospice des Incurables.
Serait-il inadmissible que la tradition du transfert du corps de Turgot fût simplement le résultat d’une méprise analogue à celle qu’on a pu récemment constater touchant l’épitaphe de Jacques Turgot ?
En présence du passage de Galeron, citéEn fait, aucun document généralement quelconque, du moins à l’heure actuelle, ne paraît connu qui infirme ou confirme l’assertion du dernier biographe de Turgot.
M. le Sous-préfet de Falaise a bien voulu me ménager le plus aimable accueil, mettant à ma disposition, deux jours durant, le secrétaire de la sous-préfecture, M. Schaepflé, dont l’intervention auprès de MM. les maires, curés et instituteurs a rendu mes recherches plus promptes et plus faciles ; M. le maire de Bons m’a très obligeamment communiqué les archives, m’autorisant même à emporter avec moi, pour quelques jours, certains documents qu’il eût été trop long d’étudier sur place ; M. le curé de Bons s’est efforcé de me signaler et de me présenter les personnes qui paraissaient susceptibles de me renseigner ; il m’a très libéralement permis d’exécuter les fouilles.
S’il m’a été possible, en quarante-huit heures, de terminer une enquête, dont plus que personne je regrette les résultats trop peu satisfaisants, c’est au concours de ces messieurs que j’en suis redevable. J’avais le devoir de le rappeler ici.
M. le Président, au nom de la Commission, remercie vivement MM. Georges Villain et Coyecque, pour leur si consciencieux travail.
La Commission adopte la proposition de M. Georges Villain tendant à l’apposition d’une inscription commémorative sur le mur de la maison édifiée à l’emplacement de l’hôtel où est mort Turgot.