Page:Procès verbaux des séances de la Société littéraire et scientifique de Castres, Année 2, 1858.djvu/214

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Le génie antique créait pour un petit nombre. Il se réservait un cercle restreint d’admirateurs. Le génie moderne sent qu’il a autour de lui une nation tout entière, dont il parle la langue, dont il interprète les pensées, dont il traduit les sentiments, dont il anime les aspirations secrètes. Rien dans les croyances religieuses, dont il accepte volontiers, ou dont il subit à son insu, ou même malgré lui l’empire, ne lui permet de dédaigner ce qui a une âme comme lui, qui a été estimé au même prix, qui subit les mêmes épreuves et a part aux mêmes récompenses. Cette solidarité puissante, dont on ne se rend pas toujours compte, mais qui n’en est pas moins une des bases les plus fortement assises de la société moderne, devient le principe des inspirations par lesquelles, les œuvres du génie acquièrent les beautés les plus éclatantes et les plus durables, en même temps qu’elle explique l’ascendant qu’elles exercent.

Sous l’empire de ces conditions, les œuvres naîtront donc facilement ; elles se multiplieront, elles trouveront dans cette étude incessante du cœur à laquelle la religion oblige l’homme, des ressources infinies ; elles iront directement du génie à la foule. Grâce à ce lien intime qu’établit une communauté de croyances, elles seront l’expression vivante, non pas de quelques-uns, mais de tous, et, par cela même, elles amèneront bien vite les esprits observateurs à rechercher les lois qui dominent les créations du génie, et à les formuler en préceptes.

Ainsi se trouvent réunies, comme conséquence immédiate et nécessaire de l’état social moderne, toutes les conditions indispensables pour constituer une littérature. Il n’est donc pas possible que là où le christianisme aura établi son action, l’esprit se taise et l’inspiration devienne muette.

Mais est-ce à dire que tout peuple moderne devra avoir des chefs-d’œuvre dans tous les genres, et dans toutes les manifestations de l’art ? Non sans doute. Si le génie