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YVETTE PROST

— Vraiment, je n’ai pas eu conscience de perdre un si long temps. J’ai exploré les magasins pour voir les tissus nouveaux ; — j’aurais besoin d’une robe légère — je n’ai rien trouvé à mon goût. Ensuite, je suis allée chez ma couturière qui m’a retenue plus que je ne croyais.

Nérée, la tête basse, pensait : « Que faire chez une couturière lorsqu’on n’a pas trouvé l’étoffe de la robe ? » Avec une certitude affreuse, déchirante, il sentait que Blanche mentait. Blanche pouvait mentir ! — et lui mentir, à lui !…

Pendant le repas du soir, il fit preuve d’une assez méritoire maîtrise de soi : d’un air tranquille et souriant, il entretint gaîment la conversation. Blanche accomplit sans doute un égal effort pour lui répondre avec enjouement. La pauvre vieille maman, facilement abusée, se sentait tout heureuse et riait pour un rien de son rire clair de jeune fille.

En sortant de table, ils allèrent tous les trois sous le grand poivrier. Nérée prit la main de Blanche — qui n’avait pas cherché la sienne, selon la chère habitude — et ils restèrent les doigts unis, comme en leurs heures les plus parfaites, tandis qu’une tempête grondait sous leurs deux fronts.

« Dès que ma mère nous aura laissés seuls, pensait Nérée, je parlerai. Je ne pourrais passer la nuit avec ce poids écrasant sur le cœur. Je saurai interroger Blanche avec tout le tact possible, avec mon immense tendresse, sans risquer de froisser cette sensibilité frémissante… Et, très probablement, je découvrirai que la cause de son étrange attitude tient à quelque scrupule excessif. »

Ces réflexions furent coupées par une diversion im-