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LE COUPLE AU JARDIN

Diane observa d’un ton amer :

— Vous en parlez à votre aise, comme un héritier qui a toujours ignoré les dévorants embarras d’argent.

— Je reconnais que je n’eus pas grand mérite ; mais ma condition matérielle fût-elle parmi les plus étroites, je puis affirmer que je n’aurais jamais réduit ma vie au souci sordide de gagner des sous.

La jeune femme ne put contenir un geste d’impatience :

— Vraiment, monsieur, dit-elle, vous êtes un anachronisme vivant ! Avez-vous été élevé en vase clos ? Ignorez-vous tout de votre temps où la lutte pour la vie a pris une grandeur tragique L’argent !… Mais, à notre époque, l’argent est le souverain moteur et le suprême objectif… Pardonnez-moi, mais j’estime qu’un homme qui ne se bat pas pour l’argent n’est pas tout à fait un être viril.

— Je vous tire mon chapeau, fit Nérée en s’inclinant. Je ne suis peut-être qu’une vieille femme, une poule mouillée ou un fossile ; mais je refuse de me jeter dans la mêlée pour le vil métal et de me prosterner devant le veau d’or.

Elle baissa le ton d’un air accablé :

— Comment nous comprendrions-nous ? Vous avez été un enfant choyé, puis un homme satisfait ; vous n’avez jamais soupçonné les privations matérielles. Moi, j’ai grandi dans un logis sans air et sans soleil. À dix ans, je n’avais jamais vu un jardin — ce détail peut vous toucher ! — et les conversations que j’entendais chez mes parents n’étaient que récriminations sur le prix du combustible et des aliments, sur l’usure rapide des chaussures, sur le terme à payer… Plus tard, j ai été l’adolescente anémique qui se tue à