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YVETTE PROST

Certains jours, Diane ne parvenait pas à rencontrer Nérée, ne l’apercevait même pas de loin. Alors elle éprouvait une sensation de vie diminuée. Le soleil lui paraissait morne, la voix de la mer désespérée ; les objets prenaient un aspect hostile. La jeune femme, énervée, incapable d’aucun travail, regardait avec dégoût la dernière feuille de papier couverte de son écriture. Sans énergie même pour préparer ses repas, elle se nourrissait d’une banane et d’une tablette de chocolat, abusait du café et des cigarettes, et ses pas la portaient cent fois du miroir à la fenêtre. Au miroir, elle considérait comme un ennemi son anxieux visage de quarante-deux ans, à la fenêtre, elle s’irritait de la paisible opulence de ces jardins faits pour enclore un bonheur qu’elle ne goûterait jamais.

Parfois, dans un sursaut de la raison, elle se disait : « Il serait temps de renoncer aux chimères… Une femme de quarante-deux ans !… » Puis aussitôt « Mais je n’ai pas quarante ans, je n’en ai pas vingt, puisque la vie ne m’a rien donné encore ! »

Que pouvait-elle donc espérer d’un homme qu’elle devinait droit et clair comme une lame d’épée et, au surplus, très épris de sa jeune femme ? Le savait-elle ? Elle était de celles qui espèrent envers et contre toute logique. Elle se persuadait qu’elle finirait pas occuper la pensée du jeune homme ; qu’elle obtiendrait au moins de lui quelques minutes d’une émotion inconnue, quelques paroles inoubliables, un regard à emporter à travers le monde désert ; enfin, de quoi se faire un rayonnant souvenir parmi tant de souvenirs poussiéreux.

Toute femme un peu prudente se fut inquiétée d’un tel envahissement de l’idée fixe. Mais Diane Horsel