Page:Proudhon - De la création de l’ordre dans l’humanité.djvu/110

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rapport. Dans la traction, les molécules s’entraînent donc tour à tour ; si la dilatation devient trop forte, il y a rupture, ce que l’on ne saurait concevoir avec l’idée de continuité.

Renversons l’expérience : au lieu d’un exemple de traction, prenons un cas d’éjaculation. Le fluide qui s’écoule par l’orifice d’un vase, le gaz qui s’échappe par un tuyau ne forment pas un jet continu, mais un jet sérié. Car, que l’on suppose le jet divisé transversalement en tranches d’une épaisseur égale au diamètre des molécules du liquide ; d’après ce qui vient d’être dit de l’état moléculaire des corps, ces tranches ne se touchent pas ; elles se pressent les unes les autres par leurs atmosphères et produisent ainsi une tension élastique, qui, combinée avec la hauteur de la colonne fluide, est cause de la raideur et de la rapidité du jet.

La lumière nous vient-elle du soleil par émission ? comme le pensent les newtoniens ; ou bien est-elle une vibration de l’éther ? comme le croyait Descartes. Certains phénomènes s’expliquent par l’émission ; d’autres seulement par les ondulations ; quelques-uns enfin ne se ramènent ni à l’une ni à l’autre hypothèse. Or, quel que soit le système qui doive un jour prévaloir, ce dont nous pouvons être certains, c’est que la série en sera la base, puisque, d’un côté, l’éjaculation du fluide se fait nécessairement en mode sérié, et que, de l’autre, vibration et série c’est même chose.

Que dirai-je de plus ? notre vie elle-même est soumise à la série ; et la continuité de la conscience, la permanence du sens intime, l’infatigable veille du moi, ne sont aussi que des illusions. Nous croyons vivre d’une vie indéfectible et non interrompue, au moins dans ce court intervalle qui nous est accordé : pauvres humains ! chaque instant de notre existence ne tient à celui qui le précède que comme les vibrations de la lyre tiennent les unes aux autres : la force vitale qui nous anime est comptée, pesée, mesurée, sériée : si elle était continue, elle serait indivisible, et nous serions immortels.

173. La série n’est point chose substantielle ni causative : elle est ordre, ensemble de rapports ou de lois. Dans les mathématiques, sciences nommées par excellence exactes, toute ontologie disparaît. Le nombre, suivant Newton, est un rapport : et la première chose qui distingue les mathématiques, est de s’abstenir de spéculations sur la substance et la cause. Les mathématiques sont des calculs de séries : c’est des propriétés de la série qu’elles tirent leur certitude ; elles ne sont, enfin, ainsi que nous allons le démontrer, qu’un des membres de la grande famille métaphysique. Or, toute science, née ou à naître, n’étant plus qu’un cal-