Page:Proudhon - De la création de l’ordre dans l’humanité.djvu/181

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n’est pas la synthèse des deux autres, bien qu’en poursuivant le développement de ce système, cela puisse quelquefois arriver.

286. Ce que nous venons de dire sur la systématisation des séries peut donner une idée des grandes lois de la nature, et suffira pour l’intelligence des chapitres suivants. L’équation et la totalisation dans la diversité, c’est-à-dire la série, ses éléments et ses lois : tel est, en dernière analyse, le mystère de la raison et de l’univers.

D’après cet exposé on comprendra, je l’espère, qu’un système de philosophie, de politique, de littérature ou d’art, n’est point une chose arbitraire, une création de l’entendement ; pas plus que les systèmes de Copernic et de Ptolémée, de Linnée et de Jussieu, de Buffon et de Cuvier, de Lavoisier et de Davy ne furent des inventions de ces grands hommes. Pourvu qu’un auteur soit fidèle à son point de départ, que ses raisonnements soient basés sur une raison constante, qu’il ne s’aventure pas, sans boussole dialectique, sur l’océan des spéculations, le système qu’il aura produit pourra être plus ou moins compréhensif et rendre compte d’un plus ou moins grand nombre de faits ; mais ce sera toujours une conception nécessaire, indépendante de la volonté, et dont la conscience et la raison ne sauraient être responsables. Il en est, en un mot, de nos idées comme des corps inorganisés et des êtres vivants : soumises en elles-mêmes à un ordre naturel et déterminé, et susceptibles en outre de se coordonner par l’influence respective de leurs éléments, et de servir tour à tour de point de vue et de raison, d’engrenage et de pivot, à une variété infinie de combinaisons et de systèmes.

287. S’il en est ainsi, nous pouvons espérer de parvenir un jour à une théorie du beau, d’après laquelle la peinture, l’architecture et la statuaire seraient traitées comme des sciences exactes, et la composition artistique assimilée à la construction d’un navire, à l’intégration d’une courbe, à un calcul de forces et de résistances. C’est alors que l’artiste, jadis homme d’imagination et de foi, devenant homme de raisonnement et de science, brillerait au premier rang dans la sphère de la raison pure ; sa mission serait de synthétiser sur la toile et le marbre, par la couleur et le ciseau, les points de vue les plus divers, les éléments dont la détermination et la série sont éminemment transcendentales : société, histoire, mœurs, lois, croyances, rapports du physique et du moral, passions, idées, avec la création pour décor et l’infini pour cadre. Alors nous comprendrions que les œuvres de l’art, comme celles de la nature, sont d’autant plus belles et plus ravissantes qu’elles sont soumises à des lois plus exactes, à une sérialité plus