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Page:Proudhon - De la création de l’ordre dans l’humanité.djvu/208

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conditions des individus soient égales ? Si, dis-je, j’invoquais toutes ces analogies, qu’aurait-on à répondre ? que l’analogie ne prouve rien ? J’en tombe d’accord : aussi je répudie cette preuve.

312. Dans mes mémoires sur la propriété, j’ai fait voir que l’inégalité des conditions était contraire aux idées de société, fraternité, grande famille, que l’on invoque aujourd’hui comme principe de la réforme future : j’ai montré de plus que, dans la pratique l’inégalité de répartition était mathématiquement impossible. Par le premier argument, je mettais le fait en contradiction avec la tendance ; par le second, je faisais ressortir la qualité subversive, anormale, partant non durable de ce fait. Mais, dans l’un ni dans l’autre cas, je ne saisissais le fait dans sa cause, et n’en démontrais à priori l’illégitimité.

312. On dit : Les éléments de la condition humaine sont le travail, le talent, l’intelligence ; or les capacités individuelles sont inégales ; donc il est dans l’ordre que les conditions le soient aussi.

Le fait énoncé dans ce syllogisme est indubitable : l’inégalité des conditions est l’expression de l’inégalité des capacités. Peu importe que, dans le détail, cette règle souffre une foule d’exceptions ; que la fortune ne soit pas toujours en raison du talent, et que souvent le génie honore l’indigence : il s’agit moins ici de la valeur respective des riches et des pauvres dans un moment donné, que de la signification sociale et de la cause primitive du fait. C’est donc la capacité humaine qu’il faut soumettre à l’analyse, si l’on veut pénétrer la raison de cette antinomie flagrante, savoir, d’une part, la tendance à l’égalité, et l’impossibilité mathématique d’une répartition inégale ; de l’autre, une cause naturelle et irrésistible d’inégalité.

314. J’écrivais, en juin 1842, au journal la Phalange, en réponse à quelques articles dirigés contre la doctrine de l’égalité :

« Si l’école sociétaire pense sérieusement, comme elle l’a maintes fois exprimé, que l’inégalité des capacités soit essentielle à sa théorie, qu’une lice soit ouverte dans la Phalange… Vous démontrerez, par une analyse approfondie des facultés et des lois de l’esprit humain, que l’inégalité des capacités entre les hommes est nécessaire et permanente ; vous expliquerez la cause originelle de cette inégalité ; vous en assignerez les extrêmes limites ; vous en formulerez les lois et en calculerez les proportions et les rapports. Car ce n’est rien que d’énoncer un fait : les philosophes, les moralistes, les hommes d’État et les vieilles femmes, tout le monde s’accorde à dire qu’aujourd’hui, du moins, les individus ne se valaient pas l’un l’autre en talent et en capacité. Mais ce fait brut