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L’observation du Progrès, en beaucoup de cas, est indispensable à la découverte de l’Ordre : voilà pourquoi nous ferons précéder nos éléments de métaphysique d’une revue sommaire de la religion et de la philosophie ; pourquoi plus tard la science sociale ne marchera qu’à l’aide de la législation comparée et de l’histoire[1].


COROLLAIRES AUX DÉFINITIONS


20. Nous ne pouvons ni pénétrer les substances ni saisir les causes : ce que nous percevons de la nature est toujours, au fond, loi ou rapport, rien de plus. Toutes nos connaissances sont en définitive des perceptions de l’ordre ou du désordre, du bien ou du mal ; toutes nos idées des représentations de choses intelligibles, partant, des éléments de calcul et de méthode. Nos sensations

  1. Lorsque dans le cours de cet ouvrage je me sers des mots prêtres, philosophes, hommes du pouvoir, etc., je ne désigne point sous ces noms des classes de citoyens et ne fais aucune catégorie de personnes. J’entends par là des personnages abstraits, que je considère uniquement du point de vue de leur état, des préjugés qui lui sont propres, du caractère et des habitudes qu’il donne à l’homme : je ne décris pas des réalités, ni ne fais le procès à des individus.

    Ainsi, bien que l’esprit religieux soit contraire à la science, à la charité et au progrès, je sais qu’il est des prêtres fort savants, fort tolérants, et singulièrement progressifs : j’ose même dire que le clergé, ne fût-ce que pour la défense de ses doctrines, est de toutes les corporations la plus curieuse de science, et que la plupart de nos prêtres commencent à n’être plus prêtres.

    Pareillement, en dépit de l’ontologie et de la sophistique, qu’ils sont chargés d’enseigner, il ne manque pas de philosophes riant de la philosophie, et savants autrement qu’en paroles : j’affirme même qu’aujourd’hui tout philosophe honnête homme n’est point du tout philosophe.

    Dirai-je que les agents du pouvoir, malgré leur caractère officiel de conservateurs et de bourgeois sont, par l’esprit et la tendance de leurs fonctions, tout près de la démocratie et de l’égalité ? J’avoue, quant à moi, que je suis du nombre de ceux qui, à tort ou à raison, n’ont pu se défaire, à l’égard de la bourgeoisie, de certaines préventions ou défiances : je reconnais volontiers cependant que beaucoup de choses s’y passent dans un sens tout à fait réformiste, et qu’en bien des cas la bourgeoisie peut se dire plus progressive que le socialisme.

    Enfin, pour compléter cette apologie, faudra-t-il convenir qu’il est des savants de mœurs détestables et d’un odieux caractère ? Mais qu’est-il besoin de rappeler le mal, lorsqu’il y a tant de bien à dire ? Non, je n’ai point à m’excuser auprès des hommes, puisque je ne fais la guerre qu’aux préjugés. Les hommes sont bons, bienveillants, excellents ; ils ne me voudront jamais de mal : je ne crains que leurs préjugés et leurs costumes.

    Dans ce temps de pouvoirs mal définis, d’institutions défaillantes, de lois équivoques et de sciences fausses, j’avais besoin de faire cette déclaration.