Page:Proudhon - De la création de l’ordre dans l’humanité.djvu/216

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la loi sérielle, et sur la variété d’une érudition qui me manque, et sur la profondeur d’études que je n’ai pas faites, et sur une habitude des formules scientifiques que je n’ai point acquise. Comme tout le monde aujourd’hui, j’ai bien plus la routine, ou si l’on veut l’instinct de la série, que je n’en possède les secrets. Mais, engagé par mes précédents mémoires, et contraint, en quelque sorte, par l’impatience des personnes qui m’ont fait l’honneur de les lire, je devais, avant de poursuivre mon œuvre de socialiste, faire connaître, qu’on me pardonne l’expression, ma philosophie. Que ceux-là, maintenant, dont le savoir dans les mille spécialités de la connaissance surpasse de si haut ma médiocrité donnent l’accroissement à ce germe, conçu d’une vue générale et superficielle des choses. Ce qui me reviendra dans cette vaste entreprise de rénovation intellectuelle (et puissé-je n’être point déçu dans mon humble espérance !) sera d’avoir saisi le caractère spécifique du génie et la forme de toute pensée créatrice, moi que la nature dota seulement d’une mobile curiosité, et qui fus par la fortune déshérité de science…

323. Le siècle attend une lumière nouvelle. L’ancienne logique ne paraît plus guère que dans ces cours appelés de théologie et philosophie ; dans ces gymnases d’avocats décorés du nom de tribunaux, et dans quelques feuilles arriérées. L’immense majorité des écrivains raisonne par généralisations, classifications, analogies, mots qui, dans la langue usuelle, signifient presque toujours série. Ce serait un beau travail, de montrer dans les publications les plus éminentes de l’époque le progrès de la loi sérielle ; de montrer, dis-je, que nos philosophes fameux, nos grands publicistes, de même que nos savants les plus illustres, sont tous, dans la partie la plus admirée de leurs écrits, dans celles de leurs idées qui, par l’adhésion populaire, sont devenues autant d’aphorismes, des faiseurs de séries. Je regrette d’autant plus de ne pouvoir ici me livrer à cette étude, qu’elle me fournirait l’occasion précieuse, et sûrement très-profitable pour moi, de relever en une foule d’écrits ce qui fait le plus d’honneur au talent de leurs auteurs : mais, après avoir tant critiqué, trop critiqué peut-être, il faut encore que je me prive du bénéfice de mes éloges.

Tout est maintenant à l’universel et à la synthèse : professeurs de l’université, lauréats de l’institut, philosophes de tous les partis, appellent de concert une loi générale, un principe supérieur, qui, embrassant les sciences organisées, donne l’objet, la circonscription et la formule de la science politique. Déjà les masses répondent à ces invocations du génie : or, quand le peuple crie à Dieu, Dieu ne peut tarder de descendre.