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Page:Proudhon - De la création de l’ordre dans l’humanité.djvu/226

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prétexte pour distinguer, en outre des intuitions, une seconde espèce d’idées, les idées générales. On s’est rendu compte de la formation de ces idées de la manière suivante.

Lorsque l’on considère simultanément plusieurs objets déterminés ayant entre eux des points de ressemblance, si l’on sépare intellectuellement ces points de ressemblance des autres qualités, propriétés et modifications des objets, il en résulte une intuition spéciale, formée des éléments identiques arrachés à la diversité des objets, et rapprochés ensuite par l’imagination : cet acte particulier de l’entendement se nomme abstraction ou généralisation. Ainsi l’idée générale, quant à la matière, a la même origine que l’intuition : quant à la production, elle en diffère essentiellement. Du reste, les genres et les espèces n’existent pas dans la nature ; ils ne sont rien de réel, ils sont des créations de l’entendement.

339. Cette manière d’expliquer la formation des idées générales suppose que l’esprit ne reçoit de la nature que des images particulières, individuelles, unes ; par conséquent, que toute idée de genre et d’espèce a sa cause formelle dans la raison. En effet, dit-on, l’univers ne renferme que des êtres particuliers ou individualisés ; ce cheval, cette orange, ce rayon de lumière, sont des choses qui se laissent voir, toucher, saisir ; tandis qu’une collection, un genre, échappe à tous les sens et n’existe que pour l’esprit.

Pauvre philosophe ! ne comprendrez-vous jamais que dans les objets qui affectent votre sensibilité vous ne percevez que des séries ? que l’un, le particulier, l’individuel, vous apparaît dans les choses, non par le fait d’une matérialisation grossière, mais par le rapport qui groupe et totalise les unités sérielles, en forme des organismes et des agrégats ? Concevrez-vous enfin que, comme un animal, une plante, un cristal, sont des séries au même titre que les genres et les espèces zoologique et botanique, pareillement ces genres et ces espèces sont des individualités au même titre que cet animal, cette plante, ce cristal ; et que toute la différence entre les unes et les autres est dans l’essence de leurs unités intégrantes, dans le point de vue et la raison qui les associent, dans l’intervalle qui les sépare ? Que parlez-vous d’idées simples et d’idées générales ? Rapprochez donc par la pensée ce dont votre main ne peut saisir le lien ; rassemblez en une case ces êtres si distants pour vous dans l’espace ; groupez-les comme en un polypier, et vous retrouverez cette unité, cette individualité objective, que votre esprit, plus prompt que votre œil, a depuis longtemps aperçue, et que vous nommiez idée générale. Car l’unité ne vous est percevable que dans la série : il ne vous est pas donné de la découvrir ailleurs. La série est tout à la fois unité et multiplicité,