Page:Proudhon - De la création de l’ordre dans l’humanité.djvu/228

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Ainsi toute idée, prétendue généralisée ou abstraite, se résout dans l’aperception plus ou moins immédiate d’une série : en sorte que idée générale et intuition sont choses parfaitement identiques, quant à la production, puisque c’est toujours groupe ou série. Mais comme, dans la nature, les séries les plus diverses de matière, de raison et de point de vue sont engagées les unes dans les autres, on a cru voir un déchirement et une recomposition là où, pour parvenir à la série, l’intuition avait à traverser des milieux pleins ou à franchir des espaces.

Considérez cette boule, dont la matière vous est inintelligible autant qu’impénétrable : qu’y voyez-vous ? figure, couleur, pesanteur, élasticité, en un mot, tout ce que les abstracteurs ont appelé qualités secondes. Or toutes ces choses sont, à proprement parler, des expressions sérielles (séries logiques, anticipations de l’expérience, 241). La rondeur est cette série géométrique, appelée sphère, qui circonscrit et limite les autres séries, dont l’ensemble compose une boule. La couleur indique un certain arrangement des molécules ; l’odeur et la saveur révèlent à votre âme, par des organes spéciaux, d’autres aspects sériels de ces mêmes molécules. La pesanteur et l’élasticité se rapportent à la force de cohésion des parties et de gravitation de la masse, force inintelligible et insaisissable en soi, comme la matière, mais soumise à des lois de proportion et de série dont les unes se manifestent par le son, et que le calcul est parvenu à déterminer ; et les autres se produisent dans le cours des astres et l’accélération de la chute des graves.

Passons à la troisième espèce d’idées, aux concepts.

341. c) Les concepts sont des perceptions, non plus de la totalité sérielle, mais des lois, des formes et des éléments de la série. C’est une classe de séries logiques (241), ayant pour objet de désigner dans le discours, non plus le matériel, mais le formel des séries. J’ai déjà parlé de la formation du premier et du plus important de ces concepts, l’unité. L’unité, ai-je dit, nous est donnée originellement dans la répétition du même, ou, si l’on aime mieux, dans l’identité des parties sériées : l’intuition nous en devient possible, comme celle des objets eux-mêmes, sous la condition d’un moi doué de la faculté d’unir synthétiquement la diversité de l’aperception. Or, cette faculté, Kant l’a reconnu lui-même, est tout l’entendement. Elle ne peut se trouver qu’en une substance simple, c’est-à-dire non sériée, ne formant point groupe ou multiplicité totalisée. Cette condition admise, l’origine des concepts s’explique avec la même facilité que celle des intuitions, par des représentations objectives.