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Concept de causalité. Selon Kant, l’idée de cause est une catégorie de la raison, c’est-à-dire une forme de l’intelligence, déterminée en elle, non par la sensation, mais à l’occasion de la sensation. L’idée de cause, en un mot, est une loi de la pensée : nous ne saurions nous démontrer à nous-mêmes qu’elle soit aussi une loi de l’être.

Mécontent de cette hypothèse, qu’apparemment il jugeait trop sceptique, l’éclectisme a cru faire merveille dans ces derniers temps d’y substituer une démonstration tirée de ce qu’il nomme, avec une vanité d’enfant, méthode psychologique. À l’aide de cette méthode, l’éclectisme prétend démontrer la légitimité de l’idée de cause, non-seulement comme loi de la pensée, mais comme fait. L’idée de cause, dit-il, est donnée immédiatement dans la conscience : c’est à la conscience, seul juge compétent en cette matière, qu’il faut s’adresser pour avoir l’origine de l’idée de cause. — Cette volte, comme on va voir, n’était pas heureuse ; elle faisait rétrograder la métaphysique.

Le moi se sent libre, actif ; il croit à sa spontanéité, à sa force causatrice : rien n’est plus vrai. Toutes ses manifestations semblent justifier aussi cette opinion qu’il a de lui-même ; il produit volontairement des idées, des combinaisons, des mouvements ; chacun de ses actes, enfin, dénote une exertion de force. Mais tout cela ne déguiserait-il point une dépendance plus profonde, une subalternisation d’un genre particulier, mais non moins absolue, dans la vaste chaîne des phénoménalités et des contingences ? La communication du mouvement n’a pas lieu nécessairement d’une manière uniforme et continue, comme dans le choc de plusieurs billes placées l’une derrière l’autre : on y remarque aussi des interruptions et des recrudescences, des synthèses et des points de centralisation, d’où jaillissent ensuite, à l’improviste, et sous des conditions certaines, des efforts que nous disons spontanés, parce que nous en avons perdu la trace. L’homme, ainsi que tous les êtres organisés, est un de ces foyers ou réservoirs de mouvement, qu’alimentent les phénoménalités éparses dans le milieu qui les environne, et dans lesquels une industrieuse organisation convertit en actes spéciaux les impulsions mécaniques ou sympathiques venues du dehors. Qu’est-ce qu’une pareille causalité, à côté de celle dont notre conscience a reçu l’image ? Si l’homme est cause, c’est comme la poudre qui fait éclater la bombe, comme la vapeur qui fait jouer nos machines, comme l’estomac du quadrupède qui nous fournit de laitage. Tous ces foyers de mouvement sont-ils causes, vous dites : Je le sens ! À la bonne heure, mais comment le voyez-vous ?