Page:Proudhon - De la création de l’ordre dans l’humanité.djvu/236

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reparaît, une série subordonnée à la première, mais toujours composée d’unités susceptibles de se décomposer à leur tour en de nouvelles séries formées d’autres unités. D’autre part, à mesure que l’on descend la chaîne des séries, les formes semblent se rapprocher de plus en plus et se résoudre finalement en une seule : cela est surtout saillant dans la classification des formes animales et végétales. L’esprit se demande donc s’il est un terme à cette sériation infinie ; si, dans chaque objet, il est une série primordiale dont les éléments soient indécomposables : en d’autres termes, s’il est un atome premier de toute série substantielle et un moment premier de toute série causative ; si enfin, dans la nature, la substance est identique et la cause universelle.

En résumé, l’esprit, en parcourant la chaîne des séries, soit fixes, soit fluentes, passe continuellement de l’intelligible à l’inintelligible, de l’idée à la sensation, et vice versa. Ce qui donne lieu à l’idée se nomme rapport, loi, groupe ou série ; ce qui produit la sensation est simplement matière, élément ou substance, moment ou cause. Or, comme il est un terme où l’analyse des formes et des phénomènes est forcée de s’arrêter, où par conséquent la sensation ne fournit plus rien à l’esprit et n’est la source d’aucune idée, on a donné à cette sensation, radicalement obscure, inintelligible, indémontrable, négative, les noms abusifs d’idée de substance et d’idée de cause. Et lorsqu’à cette qualification d’idée on eut substitué celle plus logique de concept, comme les concepts de substance et de cause ne répondaient à rien d’appréciable à la raison, puisqu’ils sont la négation de toute série ultérieure, — négation de forme, non d’objet, — au lieu de dire que ces concepts étaient la sensation, non suivie d’idée, des réalités extérieures, on affirma qu’ils étaient des idées pures, des formes non empiriques de l’entendement.

Ainsi, au lieu de dire avec Hume ; La sensation ne suffit point à expliquer l’idée de cause, donc cette idée ne correspond à rien de réel ; nous disons, nous : L’idée ou plutôt le concept de causalité n’est qu’une sensation, et c’est pourquoi ce concept est inintelligible, inexplicable.

C’est ici qu’il conviendrait de reprendre la discussion des antinomies de la raison pure, dont tout le mystère consiste dans la nécessité pour l’esprit de sérier afin de comprendre, et sur lesquelles la théorie sérielle répandrait une vive lumière. Mais les bornes de cet écrit ne nous permettent pas de sonder plus avant ces profondeurs métaphysiques : il suffit que nous ayons montré, dans l’intuition sensible, l’origine des universaux et des catégories.