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travail est la source des richesses. Say avait donc raison contre les physiocrates, lorsqu’il soutenait que la science reconnaissait d’autres produits que les produits naturels de la terre : mais il se trompait lui-même, lorsqu’au lieu de voir dans ceux-ci la matière commune du travail, et dans ceux-là seulement l’objet de la science économique, il confondait les uns et les autres et les classait parallèlement. C’était, dès l’origine, introduire dans la science une confusion fâcheuse : on en verra les conséquences.

En vertu du principe de Smith, la jurisprudence a changé sa doctrine relativement au droit de propriété. La propriété, ont dit les jurisconsultes économistes, ne devient légitime que par le travail ; jusque-là il y a occupation, il n’y a pas de droit de propriété.

385. À partir de ce moment, la science est en désaccord perpétuel avec les faits : la manière dont s’est développée la pratique industrielle et commerciale, les règles imaginées pour la répartition des instruments de travail et des produits, sont un démenti presque constant des vérités les plus certaines de l’Économie politique.

Au reste, cette contradiction entre la science et la routine n’aura rien qui nous étonne, quand nous en aurons démêlé les causes. Nous verrons alors qu’une sorte d’anomalie dans les institutions et la marche de la société était nécessaire pendant un laps de temps, au bout duquel elle devait disparaître. Déjà la période de correction et de redressement est commencée, et nous pouvons découvrir la théorie pure de l’Économie politique, soit d’après les faits anormaux qui l’ont si longtemps voilée, soit d’après les faits de réparation qui se passent sous nos yeux tous les jours.

386. Produit net, produit brut. Après que le rémouleur et le tailleur de pierres, dont nous parlions tout à l’heure (376), ont rendu celui-ci une pierre taillée, celui-là des outils aiguisés, la pierre et les outils représentent chacun une valeur qui est portée à l’avoir de l’ouvrier. Mais cet avoir n’est point égal à la totalité de la valeur produite : en taillant la pierre, l’un use ses outils ; l’autre, en rémoulant, use sa meule ; si bien qu’après un certain temps de service, les outils de l’un et la meule de l’autre doivent être remplacés. Or, ce remplacement exige une dépense que l’on déduit de l’avoir de l’ouvrier. On appelle donc l’avoir du travailleur, avant la déduction, produit brut ; après la déduction, produit net. Enfin, toute espèce d’industrie exigeant des avances et la consommation de quelques instruments, on a généralisé la distinction de produit net et produit brut, corrélative à cette autre, matière-instrument, matière-produit.