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de l’agora[1]. L’industrie était réputée illibérale et servile : vivre de son travail était presque regardé comme une honte, dont chacun se justifiait à l’envi en s’appropriant les deniers publics, et en votant les confiscations, les exactions, les guerres de conquête et de pillage, qui en étaient la source.

Peu d’années suffirent à la Grèce pour consommer l’œuvre de ses institutions politiques et acquérir l’expérience de leur viabilité. De Solon, dont je prends le siècle comme l’époque moyenne des législatures grecques, jusqu’à la mort d’Alexandre, il ne s’est pas écoulé plus de deux cent cinquante ans ; encore cette période si courte fut-elle signalée par une foule de remaniements et de révolutions. Après la division du royaume de Macédoine, la Grèce ne retrouva de stabilité que sous le fer italique. La centralisation hellénique, si bien commencée par Philippe, fut abandonnée pour jamais à la mort d’Alexandre : c’est peut-être le plus grand malheur qui ait affligé le monde.

496. À Rome, la division du pouvoir s’effectue avec une lenteur majestueuse, à de longs intervalles. Comme l’ager romanus s’étend par degrés sur les pays vaincus, ainsi se développe la souveraineté du forum. Des pouvoirs qui en émanent se constituent l’un sur l’autre, semblables à des couches de granit. Cet enfantement de politique dura depuis le consulat de Junius Brutus jusqu’à la chute de l’empire d’Occident, près de mille ans.

Après l’expulsion des Tarquins, lorsque le territoire de Rome ne s’étendait pas au delà du quinzième milliaire, les consuls remplirent, tour à tour ou conjointement, toutes les fonctions politiques, s’adjoignant, selon le besoin, non des copartageants de l’autorité, mais des conseillers ou assesseurs. La distinction des pouvoirs, provoquée par l’esclavage de la plèbe, fut la cause permanente des troubles de la république et de la jalousie entre les ordres. Du reste, le système suivi fut le même qu’en Asie et en Grèce : d’abord, les consuls se déchargèrent d’une partie des fonctions administratives sur les questeurs ; puis vinrent, longtemps après, les tribuns, représentants du peuple sous un gouvernement aristocratique, et ayant, comme chez nous la chambre élective, l’initiative de certaines lois. Bientôt les tribuns demandèrent et obtinrent la création des édiles, magistrats spécialement chargés de la police et des travaux publics, et qui plus tard, si le commerce et l’industrie eussent été comptés parmi les fonctions

  1. Tout cela s’est vu en France depuis soixante ans, et se voit encore. Ce n’est pas pour rien qu’on nous nomme les Athéniens du monde moderne. (Note de l’éditeur.)