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un double degré d’élection sous les mêmes conditions censitaires d’élection et d’éligibilité ; le projet de 1815 propose deux degrés d’élection, et un cens d’éligibilité ; — la Restauration supprima les assemblées primaires, fixa un cens électoral et un cens d’éligibilité, inventa le double vote, et rétablit la chambre des pairs ; — enfin la Charte de 1830 abaissa l’un et l’autre cens et supprima le double vote ; mais, divisant les collèges par arrondissement, elle organisa, pour ainsi dire, la corruption, et fit plus de mal que tous les gouvernements antérieurs.

Ce qui manque à ces diverses combinaisons, et il est infiniment regrettable que depuis treize ans les radicaux ne l’aient pas compris : c’est une pensée de progrès. Quiconque gagne sa vie à la sueur de son front n’est pas pour cela travailleur (414 et suiv.) ; de même quiconque est domicilié dans la cité, n’est pas pour cela citoyen. Le droit de contribuer à la reconnaissance et à la rédaction des lois par le vote électoral est un droit naturel : cette question n’en est même pas une. Mais comme ce qui doit être ne résulte pas nécessairement de ce qui est, et que le droit ne prouve pas la capacité, le suffrage universel, vrai en principe, peut, dans un moment donné, se trouver inapplicable. En effet, il ne suffit pas que des électeurs votent ; il faut qu’ils votent avec discernement[1]. Tout ce qui se fait maintenant par les collèges électoraux, par les chambres, par les tribunaux, par l’administration, par le peuple est illégal ; le droit est inconnu, la jurisprudence n’existe pas. Allons-nous conclure de là qu’il faut balayer les cours de justice, les préfectures, la monarchie, établir les repas communs et vivre en cénobites ?… Il est tout aussi peu raisonnable de réclamer, dans les conditions sociales où nous sommes, le suffrage universel. C’est au gouvernement, au pouvoir consulaire, à provoquer incessamment l’extension des droits électoraux : dans notre opinion, ce droit pourrait être actuellement conféré, sans danger pour la liberté, à un million d’électeurs ; et, comme nous l’avons dit (306), cette réforme provisoire suffirait…

557. La question du double degré étant toute réglementaire et ayant pour objet de rendre les élections plus faciles et plus rapides, surtout lorsque les délégués du peuple ne seraient que des messagers apportant un scrutin nominatif, nous n’avons pas à nous en occuper.

  1. Un écrivain radical, M. Anselme Petetin, écrivait dernièrement dans la Revue Indépendante, que le vote universel pourrait bien aujourd’hui avoir pour résultat immédiat de ramener les Bourbons. M. Petetin n’en concluait pas moins à l’application immédiate du vote universel. Si c’est là de la démocratie, à coup sûr ce n’est pas de la prudence.