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Page:Proudhon - De la création de l’ordre dans l’humanité.djvu/48

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pouvoir favorise de toutes ses forces l’action du clergé, et prêche volontiers, par ses procureurs généraux et ses préfets, contre l’impiété et les mauvaises doctrines. Étourdi des reproches de corruption et d’anarchie qui s’élèvent de toutes parts, il n’imagine rien de mieux, pour le peuple, qu’un retour à la religion, pour lui-même qu’une royauté absolue. Mais personne n’est dupe : tout le monde rit de ces mines, et le même coup qui abattra le scepticisme finira cette comédie[1].

75. Est-ce que moi, qui suis vieux, je puis rentrer dans le sein de ma mère, et revenir au monde ? disait au Christ le pharisien Nicodème. Génération du dix-neuvième siècle, tu ne saurais non plus rentrer dans le giron de l’Église : la période religieuse est finie pour toi. Que l’avenir n’effraye pas ton courage : ce sont des aveugles ou des désespérés ceux qui te disent : Pouvez-vous vivre sans religion ! Non, ce n’est point en vain qu’ont protesté dès l’origine ces penseurs que le sacerdoce a inscrits parmi ses ennemis, quand il n’a pu les compter parmi ses victimes ; ce n’est point en vain que dix générations ont affaibli pour nous la crainte de l’autel et le respect du trône : incrédules et libres dès le ventre de nos mères, boirons-nous encore, après voir vu le soleil, les eaux de l’amnios ?

76. Qu’un monument s’élève en témoignage du mouvement qui vient de s’accomplir : la révolution française a sa colonne ; que la Religion ait sa pyramide. Jadis, après avoir béni notre naissance, elle priait sur notre cercueil : sachons, aujourd’hui, lui rendre les derniers devoirs. Craindrions-nous, par piété filiale, d’ensevelir notre mère ? Notre émancipation complète ne datera que de ces grandes funérailles. Jusqu’à présent l’homme a marché dans la crainte des dieux et des démons, exhorté par le prêtre, bercé par des fables, et consolé par des symboles : qu’il sache désormais qu’entre Dieu et lui la nature est son seul interprète ; qu’il apprenne à lire ses destinées au grand livre de l’Univers ; que la connaissance de ses rapports avec le monde et avec ses semblables fasse toute son étude ; que le développement des puis-

  1. L’erreur capitale de la secte saint-simonienne a été, dans une nation philosophe, de vouloir tout ramener au sentiment et à la foi, et de se poser comme église et sacerdoce, tandis qu’elle devait considérer sa mission comme un professorat. Jusqu’à présent l’intelligence est née du sentiment et de la passion : désormais c’est le contraire qui aura lieu ; l’intelligence produira l’enthousiasme et la foi, la passion et le sentiment. La secte de Saint-Simon a été punie de sa méprise par l’ineffable ridicule où elle est tombée aussitôt : le rationalisme du siècle, plus encore que la répugnance universelle pour une organisation aristocratique et féodale, a tué le saint-simonisme.