tisme des sectes, légitimé tour à tour le despotisme monarchique et l’ostracisme républicain ; elle enfin qui, par l’effronterie de ses contradictions, a mis en péril la morale, et fait douter de la vertu même.
93. On doit comprendre à présent pourquoi de ses vastes con-ceptions la philosophie n’a jamais fait sortir que de vaines et im-puissantes théories. Comme elle prétendait, à priori, expliquer et produire les faits par les causes, elle se plaçait en dehors de l’expérience, et toujours l’expérience démentait la philosophie. Aussi voyez les livres des philosophes : grandes annonces, grandes prétentions, élans sublimes, discours magnifiques, style profond, air de mystère ; science nulle. Que de gens ont espéré voir jaillir de sociétés de maçons et rose-croix, des illuminés de Swedenborg et de Weisshaupt, de la théosophie des de Bonald et des de Maistre, de l’expansion d’Azaïs, de la palingénésie de Ballanche, du panthéisme allemand, de l’éclectisme français, et tout récemment des inspirations saint-simoniennes, une lumière pure et ardente, qui embraserait la société et régénérerait le monde ! On voyait des fanatiques, la plupart de bonne foi, épris d’une idée fixe ou éblouis de l’aperception soudaine de quelques rapports généraux, et qui se hâtaient de crier : Accourez tous ; voici la clef du grand arcane, la nature n’a plus de voiles : et l’on avait la complaisance de les écouter et de les suivre.
94. Le principe des illusions philosophiques est cette espèce de transport, quelquefois passager, souvent durable et opiniâtre, qui suit l’aperception subite d’une haute vérité, ou de rapports imprévus. Cette maladie mentale, particulière aux esprits contemplatifs, n’a point été signalée par les psychologues, peut-être parce qu’en étant atteints la plupart, ils ne pouvaient la reconnaître. Qu’on me permette, avant de terminer cet article, d’en donner la description.
Il n’est pas rare de voir des hommes d’une grande sagacité, d’un jugement exquis, d’une raison supérieure, poursuivis d’une idée qui, semblable à une illumination soudaine, leur a traversé le cerveau, et y produit les imaginations les plus singulières. Tantôt c’est une croyance superstitieuse qui les obsède, et qui, agissant sur toutes leurs idées, semble altérer leur raison ; tantôt ils se croient l’objet de la haine ou de la défiance universelle ; d’autres fois, saisissant de biais une vérité générale et la creusant avec une ardeur incroyable, on les voit s’ingénier à réaliser des hypothèses fantastiques, et se livrer à d’extravagantes spéculations. Chez tous, en remontant à l’origine de leur maladie, on découvre constamment, comme cause déterminante, soit un sentiment, soit une idée.