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Page:Proudhon - De la création de l’ordre dans l’humanité.djvu/71

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En fait, certaines idées nous paraissent vraies, certaines autres fausses ; de plus, nous revenons à tout moment d’opinions que nous avions d’abord admises ; nos jugements sont pleins de contradictions, et nous savons que les sens, la conscience, le raisonnement nous trompent. On demande donc, d’une part, si la raison a un moyen quelconque de s’assurer de la vérité et de redresser ses jugements ; de l’autre, si ce qui lui semble invinciblement vrai, est vrai. C’est à quoi l’on a fait la désespérante réponse que voici :


argument du scepticisme


Nous ne savons rien que par la raison ; elle est le principe causateur de toutes nos idées.
Or, la légitimité de la raison, ou sa conformité avec le vrai, ne se peut démontrer par la raison, puisque ce serait faire la raison principe et conséquence, cause et effet, sujet et objet, et tourner dans un cercle ; ni par un principe en dehors et au-dessus de la raison, puisque pour découvrir sûrement ce principe, il faudrait le posséder déjà.
Donc, puisque la raison est le principe de la connaissance, notre condition nécessaire est le doute.


Voilà donc la philosophie, comme l’astronome de la fable, tombée dans un gouffre. Depuis que cet argument a été fait par les sceptiques, les dogmatistes se sont évertués à retirer la philosophie de ce gouffre ; mais, hélas ! chaque fois qu’ils ont cru la ressaisir, elle s’est enfoncée davantage. Aucun syllogisme, en effet, n’est possible contre celui des sceptiques, puisque, s’attaquant à la raison, à la cause effective de tout principe et de toute idée, il ne laisse hors de lui rien à quoi l’esprit se puisse prendre.

111. De nos jours, on a cru échapper au scepticisme en lui faisant sa part. On a dit : Les principes premiers de la raison sont indémontrables ; l’entendement est ainsi fait qu’il y adhère fatalement, invinciblement. Il est inutile, il est absurde de chercher si ces principes sont d’accord avec la réalité objective et absolue : ce serait sortir de notre condition d’hommes ; ce serait dire à Dieu : pourquoi nous as-tu faits ainsi ? Mais, ce qui est possible, c’est de vérifier la conformité de notre connaissance avec les principes premiers, avec les lois formelles de notre raison ; c’est, en un mot, de nous assurer si nous sommes d’accord avec nous-mêmes, ou non.

L’inventeur de cette échappatoire est Kant. Toute sa philosophie consiste à déterminer quels sont les principes premiers de la rai-