Aller au contenu

Page:Proudhon - De la création de l’ordre dans l’humanité.djvu/78

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Mais non, s’écrient les démocrates : la souveraineté est au peuple ; le plébiscite est la loi suprême… — Le peuple est donc législateur et gouvernement ? — Non, il se fait représenter. — À merveille : et quelles sont les règles d’après lesquelles agissent les représentants du peuple ? — Le but de la société est le bonheur commun. — Assurément : mais les règles pour y parvenir ? — Les droits de l’homme et du citoyen sont la liberté, l’égalité, la sûreté, la propriété. — Sans doute : mais les règles qui doivent réaliser et maintenir ces droits ? — Tous les citoyens sont électeurs. — C’est juste : et les règles qui dirigeront les élus ? — Quand la loi est violée, l’insurrection est le premier des droits et le plus saint des devoirs[1]. — D’accord : je m’engage à prouver, quand on voudra, que tout ce que fait aujourd’hui le gouvernement pourrait motiver l’exercice de ce droit. Mais, encore une fois, à quel signe reconnaîtrai-je que la loi est violée ?…

120. C’est ainsi qu’ont de tout temps procédé les faiseurs de constitutions et de déclarations de droits : après quelques banalités solennellement énoncées sur le but de la société, sur la source des lois et l’origine de la souveraineté, et sur les droits naturels[2], ils énumèrent les attributions du prince, règlent les conditions électorales et d’éligibilité, la tenue des assemblées et leurs prérogatives ; quelques mots sur les ministres et les différents ordres de fonctionnaires : et la constitution est faite. Mais le comment, le pourquoi, la raison définitive de chaque chose, en un mot, la science qui prescrit un tel arrangement, et permettrait au premier venu de le retrouver, si le souvenir en était perdu : voilà ce qu’un homme de bon sens est en droit d’exiger, et qui n’a été publié nulle part.

Ce que l’on découvre de plus clair dans ces inventions constitutionnelles, c’est le classement hiérarchique des citoyens et des fonctionnaires, divisés, comme la formule d’Aristote, en majeurs, mineurs et supérieurs. Dans l’ordre civil, l’ouvrier dépend du fabricant ; le fabricant, de l’entrepreneur ; l’entrepreneur, du négociant ; le négociant, du banquier ; le banquier, du capitaliste, qui, principe universel d’action, domine tout et ne dépend de personne. Dans le militaire, le soldat obéit au caporal, qui obéit au sergent, qui obéit au capitaine, qui obéit au commandant, qui obéit au général, qui obéit au roi, qui n’obéit à aucun. Dans les sphères

  1. Constitution de l’an 2 et de l’an 3.
  2. Voir, comme modèle de ce style, l’Introduction au Dictionnaire politique, par Garnier-Pagès, petit chef-d’œuvre de sophistique et d’insignifiance.