Page:Proudhon - De la création de l’ordre dans l’humanité.djvu/40

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.



§ II. — Disparition prochaine de la Religion.


60. L’homme est destiné à vivre sans religion[1] : une foule de symptômes démontrent que la société, par un travail intérieur, tend incessamment à se dépouiller de cette enveloppe désormais inutile.

Sans rappeler ici les institutions religieuses déjà abolies, on m’accordera, je pense, que les religions mahométane, indoue, japonaise, thibétaine, américaines et autres, ne sont point taillées à la mesure de l’homme civilisé : reste par conséquent, pour nous autres Européens, le christianisme.

C’est donc sur le christianisme seul que porteront mes remarques : je laisse aux publicistes hétérodoxes à faire à leurs cultes respectifs l’application de ce que je dirai du nôtre. En raisonnant sur une espèce, j’aurai soin de ne rien avancer qui ne convienne au genre : ainsi la généralisation sera légitime[2].

61. Dans toute société en progrès, la Religion fléchit en proportion du développement scientifique : pour trouver une religion permanente, il faut chercher un pays où l’ignorance politique reste inviolée, où les lois et les coutumes n’éprouvent ni amélioration ni changement : il faut aller en Chine, chez les Kalmouks et les sauvages. La philosophie grecque avait tué le polythéisme avant que l’Évangile parût : j’entends qu’à la venue de Jésus-Christ le polythéisme était mort pour tous ceux qui pensaient et raisonnaient. Qu’importe que la canaille et les esclaves y crussent encore ! Nous ne voulons plus parmi nous ni canaille ni prolétaires.

  1. Cette assertion n’a plus rien d’effrayant, après la distinction que nous avons faite de la loi morale et du symbole religieux : celle-là, éternelle et absolue ; celui-ci, variable, transitoire, et n’ayant pour objet que de donner momentanément à la morale une sanction et une base. Or, la science nouvelle doit suppléer partout la religion, et faire mieux que sa devancière ; à cette condition seule, les conclusions que nous allons poser sont légitimes. Ainsi, que les âmes timorées se rassurent. Eh ! qui donc aujourd’hui oserait attaquer la morale ? mais, en revanche, qui se soucie des symboles ? Les pères envoient-ils leurs enfants au catéchisme pour y apprendre à théologiser, ou bien pour y puiser des principes de probité et de politesse ? Toute la question est là.
  2. Ce paragraphe n’est, du reste, que la conclusion d’un raisonnement dont on trouvera les prémisses dans le dernier ouvrage de M. Edgar Quinet, du Génie des Religions. Dans cet écrit, auquel on ne saurait reprocher qu’un trop grand luxe de style, le savant professeur, après avoir montré les religions antiques tombant les unes sur les autres, s’est arrêté tout à coup au christianisme : on comprend les motifs de cette réserve.