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141. Cette vaste exégèse de philosophie ancienne et moderne, entreprise à la gloire des penseurs dits philosophes, et au grand bénéfice de leurs successeurs dits éclectiques, a produit, selon les tempéraments, un double résultat.

Les uns n’ont vu dans l’amas incohérent des songes philosophiques que des témoignages de folie et d’impuissance, et se sont rejetés aussitôt, qui dans le scepticisme, qui dans la religion[1].

Les autres, plus robustes ou plus opiniâtres, ont senti leur confiance se raviver, plus forte que jamais. D’une part, ils avaient aperçu, à travers le chaos des doctrines, une gradation qui, par une suite d’oscillations et avec une force invincible, conduisait l’esprit d’un système à l’autre, sans qu’il lui fût possible d’anticiper jamais sur sa route ; et cette marche, constamment observée, leur faisait entrevoir pour la philosophie le commencement d’une nouvelle période. D’autre part, présumant que, de l’ensemble même des sciences constituées hors de leur domaine, il sortirait une philosophie qui les embrasserait toutes, ils se mirent, par provision, à préparer les matériaux de cette philosophie, en faisant une sorte de choix et d’assortiment parmi les immenses ruines que le temps avait accumulées sur leur territoire.

Quel fut le résultat de cette entreprise ?

142. D’après ce qui vient d’être dit et ce que l’on a vu plus haut, la période philosophique se développe en quatre moments principaux :


L’ère des superstitions, dans laquelle la philosophie se rapproche de la condition religieuse, et où l’esprit, entraîné par le concept de cause, prend son essor dans l’infini des spéculations ;
L’ère de la sophistique, ou de la constitution du syllogisme, première régularisation du jugement ;
L’ère de la détermination des sciences, par l’observation des faits et la transformation du syllogisme en équation ;
Enfin l’ère de l’autopsie philosophique, ou prélude à la découverte de la méthode universelle.
  1. L’Essai sur l’Indifférence de M. de Lamennais ne fut pas moins une œuvre de réaction religieuse dirigée contre la philosophie, qu’une mercuriale adressée à l’insouciance épicurienne du siècle. — On n’a pas oublié non plus les conversions, vraies ou simulées, de MM. Bautain, Buchez et autres. — Le plus illustre des disciples de M. Cousin, M. Jouffroy, ne cachait pas dans l’intimité le dégoût qu’il éprouvait pour la philosophie. Lui qui avait montré, dans des articles devenus fameux, comment les religions finissent, pressentait aussi la fin de la philosophie. Il n’en a pas moins prétendu que la philosophie avait son objet à elle, son champ d’observation et sa méthode ; mais comme il n’a fait que le dire, et que tout concourt à prouver le contraire, j’aime mieux, pour l’honneur de M. Jouffroy, croire aux confidences de l’homme qu’aux écrits du professeur.