Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 1.djvu/120

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paternité, dit Tertullien, ce qu’il y a de plus doux n’est pas l’autorité, c’est la piété : Gratius est nomen pietatis quam potestatis. Les passages de Papinien et des Pandectes expriment la même idée.

Suétone remarque de Tibère, 69, qu’il était circa deos negligentior, quippe addictus mathematicæ, persuasionisque plenus cuncta fato agi, « très-négligent des dieux, adonné qu’il était à la magie, et plein de l’idée que tout est gouverné par le destin. » Ne semble-t-il pas que Suétone continue la pensée de Virgile, en marquant l’abîme qui séparait le religieux, le pieux Auguste, de son indévot successeur ? En effet, si tout arrive fatalement, les dieux sont inutiles, et leur religion une duperie.

Un dernier exemple. Tite-Live, lib. v, c. 21 et 28, raconte que Camille, assiégeant une place, avait promis à l’Apollon de Delphes le dixième du butin. Les envoyés qui portaient l’offrande ayant été, pendant la traversée, pris par des pirates et conduits à Lipara, la part du dieu allait passer aux mains des corsaires, quand le chef remontra aux siens qu’ils feraient mieux de s’abstenir d’un objet consacré, et de renvoyer libres les messagers romains. Tant, ajoute l’historien, il sut pénétrer la multitude d’une juste religion, justa religione implevit. Le droit des gens n’existant pas pour des pirates, il n’y avait que la considération des dieux qui pût les décider à un tel sacrifice. Où diable, aurait dit Molière, la religion va-t-elle se nicher ?

J’ai rapporté tout à l’heure la synonymie de pius et de religiosus. En voici une autre qui répand sur la question un nouveau jour : c’est celle de relligio et timor, verecundia, reverentia, la crainte. D’où provenait ce respect particulier de l’homme pour la Divinité ? D’un sentiment de crainte, ainsi que Lucrèce l’a dit dans ce vers :

Primus in orbe Deos fecit timor…