Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 1.djvu/130

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yeux dans le cortége des prêtres, n’ébranlent son courage. Il ne cède que lorsque sa mère, qu’il cherchait dans la foule des matrones, unissant sa destinée à celle de la ville, lui dit en le repoussant : « Je n’embrasse pas celui qui veut me faire esclave !… » Mais en cédant à sa mère Coriolan ne cède qu’à lui-même : ce n’est pas un citoyen qui s’incline devant l’inviolabilité de la patrie ; c’est un proscrit qui fait grâce aux proscripteurs en considération de sa famille. La fierté de la mère eut raison de l’orgueil du fils, non pas en le combattant, mais en s’identifiant avec ses ennemis. Ces deux âmes se comprenaient l’une l’autre. Qui les comprit jamais dans nos écoles ?

Ce sentiment profond de la dignité personnelle, qui sous la république avait brillé de tant d’éclat, on le retrouve, mais avec une teinte de résignation auparavant inconnue, sous la tyrannie des Césars. Lisez Tacite : ses sombres annales sont pleines de récits de suicides accomplis pour échapper à l’insulte des despotes. Ce que le Romain craignait le plus n’était pas la mort, c’était l’outrage dans le supplice, ne illuderet. Avec quelle complaisance il raconte les derniers moments d’Othon, et l’enthousiasme que produisit sur le soldat cette noble et digne fin !

« Vers la chute du jour, mourant de soif, il prend pour tout réconfort une gorgée d’eau froide. Puis il se fait apporter deux poignards, en choisit un, qu’il place sous son oreiller, et s’endort d’un paisible sommeil. À l’aube, il se perce le cœur, jette un cri et expire. On se hâta de l’enterrer comme il l’avait recommandé, de peur que sa tête ne fût coupée et livrée aux outrages. Le corps fut porté par les gardes prétoriennes. Fondant en larmes, elles célébraient ses louanges et lui baisaient les mains. Quelques soldats se tuèrent sur son bûcher, non qu’ils se sentissent coupables et qu’ils eussent peur, mais par émulation de bravoure et amour de leur prince. Dans les