Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 1.djvu/184

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Que reste-t-il donc, puisque nous ne pouvons nous passer de Justice, puisque cette Justice doit être en nous quelque chose d’immanent et de réel, et que, d’après les manifestations de la conscience universelle et les axiomes de la science (ax. 2, 3, 6), il ne se peut que la Justice ne soit quelque chose ?

Il reste que la Justice soit la première et la plus essentielle de nos facultés ; une faculté souveraine, pour cela même la plus difficile à connaître ; la faculté de sentir et d’affirmer notre dignité, par conséquent de la vouloir et de la défendre, aussi bien en la personne d’autrui qu’en notre propre personne.

Il reste, dis-je, que l’homme soit constitué de telle façon que, nonobstant les passions qui l’agitent et dont sa destinée est de se rendre maître, nonobstant les motifs de sympathie, d’intérêt commun, d’amour, de rivalité, de haine, de vengeance même, qu’il peut avoir vis-à-vis de tel ou tel individu, il éprouve en sa présence, qu’il le veuille ou ne le veuille pas, un certain respect que son orgueil même ne saurait vaincre.

Sentir et affirmer notre dignité, d’abord dans tout ce qui nous est propre, puis dans la personne du prochain, et cela sans retour d’égoïsme comme sans considération aucune de divinité ou de communauté : voilà le droit.

Être prêt en toute circonstance à prendre avec énergie, et au besoin contre soi-même, la défense de cette dignité : voilà la justice.

XXXI

Sentir son être dans les autres, au point de sacrifier à ce sentiment tout autre intérêt, d’exiger pour autrui le même respect que pour soi-même, et de s’irriter contre l’indigne qui souffre qu’on lui manque, comme si le soin de sa dignité ne le regardait pas seul, une telle faculté semble au premier abord étrange.