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chose est l’économie politique, et autre chose la morale. — Tout de même avait dit Machiavel : Autre chose est la politique, et autre chose la Justice.

XIII

Nous avons le secret du fatalisme politique, nous en connaissons la théorie : nous pouvons en quelques lignes apprécier cette religion du Destin, sur laquelle on a écrit tant et de si insipides volumes.


1. Dans la société comme dans la nature, disent les fatalistes, les conditions sont naturellement inégales. La Justice dès lors n’a rien d’absolu ; elle est subordonnée à une loi plus haute, dont le gouvernement est l’organe. Cette loi est l’inégalité. Cela est fatal.

2. L’inégalité des conditions engendrant une divergence d’intérêts qu’il est impossible de faire cesser par la Justice, le gouvernement est armé, pour vaincre les résistances, d’une prérogative supérieure qui lui permet de suspendre la Justice et la liberté : c’est la raison d’État. Cela est fatal.

3. Mais l’exercice de cette prérogative paraît bientôt incompatible avec la division du pouvoir ; il exige que la plus entière liberté soit laissée au prince ; il répugne à tout ce que l’on appelle constitution, et qui aurait pour objet de limiter la puissance politique ; et comme le gouvernement est avant tout une force de volonté et d’action, il est inséparable de la personne du prince : il y a identité entre le prince et l’État. Cela est encore fatal.

4. Donc, par le fait de l’action souveraine, il y aura concentration, absorption incessante des facultés de la nation dans la faculté princière ; de sa pensée, de son avoir, de son moi, dans la pensée, l’avoir, le moi, du premier magistrat. C’est toujours fatal.

5. De là, d’abord, corruption du corps social par l’instrument gouvernemental, le premier répugnant invinciblement à l’inorganisme du second, autant qu’à sa raison d’État.