Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 2.djvu/157

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blable hypothèse était impossible. La servitude dans l’humanité est primordiale ; le cours des siècles n’avait fait que consolider, en l’adoucissant un peu, une institution dont l’absence n’avait été observée que chez les peuplades les plus sauvages, et hors de laquelle on ne concevait ni ordre social ni richesse. De temps à autres, à de longs intervalles, la commisération publique, aidée de la politique des princes, était intervenue pour atténuer les rigueurs de l’exploitation nobiliaire et bourgeoise. Mais il était sans exemple que le travail, que le service de la production, eût été livré nulle part à l’initiative des travailleurs, de manière à ce que l’on pût juger de ce qui arriverait dans une société où tous jouiraient d’une instruction professionnelle égale, ouvriers et entrepreneurs, prolétaires et propriétaires.

Le christianisme, accordons-lui cette gloire, fut le principal agent de cette miséricorde, faible et tardive, dégagée d’ailleurs de tout élément philosophique, envers l’homme de travail. Les empereurs, par leurs édits en faveur des esclaves, ayant donné l’impulsion, le christianisme généralisa le mouvement ; ou, pour mieux dire, le mouvement, sous l’action des circonstances, étant devenu général, s’appela le christianisme. Partout, au nom de l’Évangile, la servitude fut adoucie, transformée : colon du fisc, métayer ou mercenaire, le travailleur commença de participer à la possession de lui-même. Jusque-là il avait été chose : il devint personne.

Mais ce fut tout, la Justice n’alla pas plus loin. Le travail, abandonné par l’Église, comme il l’avait été par le préteur, au bon plaisir des privilégiés, redevint aussi meurtrier pour la plèbe chrétienne qu’il l’avait été sous le paganisme pour l’esclave. L’abolition de l’antique servitude n’était pas finie qu’une autre la remplaçait : il y en eut pour douze siècles. À côté de l’exploitation féo-