Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 2.djvu/215

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sente avec d’autres formules, et s’écrie : Plus d’esclaves ! Mais elle ne s’est pas pour cela éclairée sur le travail : à cet égard, sa foi n’a pas changé. Et comme elle se dit que le travail est misérable, qu’il ne peut y avoir d’heureux que ceux qui font travailler les autres, qu’il y aura par conséquent toujours des serviteurs et des maîtres, des pauvres et des riches, elle fait en sorte que l’homme de service soit libre, de toute la liberté qui peut s’étendre du centre de la conscience à la périphérie du corps ; elle lui dénie toute justice et autorité sur les choses.

Au fond la religion ne change pas : comme le spiritualisme dont elle est l’expression, elle est immuable. Mais il y a quelque chose qui, sous elle et en dépit d’elle, progresse et change, c’est l’Humanité. Un jour vient donc où l’Humanité, raisonnant son propre progrès, élève le doute sur l’hypothèse même qui a servi jusque-là de fondement et de motif à sa foi, et se demande :

Qu’est-ce que le travail ?

Qu’est-ce que la Justice dans le travail ?

Ceux-ci sont-ils moins spirituels qui travaillent, ceux-là le sont-ils plus qui ne travaillent pas ?

C’est précisément ce qui arrive à cette heure. Un esprit nouveau agite le monde. Comme autrefois, les peuples aspirent à la liberté ; les masses laborieuses réclament des garanties, la fin de l’exploitation égoïste, la Justice dans le travail, comme dans la propriété et dans l’échange. Et comme autrefois aussi reparaissent, pour combattre ces prétentions nouvelles, les priviléges surannés, l’arbitraire des fortunes, les traditions d’école, le mauvais vouloir de l’État. Ce n’est plus la tribu hébraïque avec ses deux catégories d’esclaves, ni le patriciat romain avec son système de clientèles, ni la féodalité du moyen âge avec sa savante et théologale hiérarchie. C’est la commandite capitaliste, avec concession du prince et