Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 2.djvu/240

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Du reste, comme tout est établi sur ce pied, les patrons n’en deviennent généralement guère plus riches : la sueur du mercenaire monte et va alimenter le parasitisme d’en haut, à travers les mille canaux et tuyaux du système.

Ce qu’un esprit ordinaire aurait épuisé en trois jours, souvent en quelques heures, ce qu’une main autrement exercée apprendrait à exécuter en quelques semaines, on y consume des années. Puis, ce ridicule apprentissage fini, qu’a-t-on obtenu ?

Je suppose que l’instruction ait été donnée de bonne foi, et que le sujet ait profité des leçons.

On a façonné l’homme à une manœuvre qui, loin de l’initier aux principes généraux et aux secrets de l’industrie humaine, lui ferme la porte de toute autre profession ; après avoir mutilé son intelligence, on l’a stéréotypée, pétrifiée ; à part ce qui concerne son état, qu’il se flatte de connaître, mais dont il n’à qu’une faible idée et une étroite habitude, on a paralysé son âme comme son bras.

Pendant les premières années qui suivent l’apprentissage, l’imagination, soutenue par la jeunesse, fait encore quelque rêves dorés : c’est alors que le travailleur prend femme, et crée pour le système qui le dévore des rejetons qu’il dévorera.

Mais bientôt la monotonie du labeur avec tous ses dégoûts se fait sentir : le prétendu travailleur acquiert la conscience de sa dégradation ; il se dit qu’il n’est qu’un rouage au sein de la société ; le désespoir s’empare lentement de lui ; la raison, faute d’une science positive, perd l’équilibre ; le cœur se déprave, et l’homme finit dans les rêves de l’utopie, les folies de l’illuminisme et les rages de l’impuissance.

On a voulu mécaniser l’ouvrier ; on a fait pis, on l’a rendu manchot et méchant.

Sera-ce donc un paradoxe affreux de soutenir qu’il en