Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 2.djvu/267

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je l’eusse aimé de passion, et j’aurais eu de la force pour deux. Hégésippe Moreau appartenait à cette démocratie artiste et chevaleresque qui devait avorter en 1848 ; je suivais dès lors ma ligne d’expérimentateur réaliste, qui devait porter ma pensée au delà de toutes les inventions de l’idéal. J’étais, j’ose le dire, dans le vrai courant de la Révolution.

Que faisais-je à Toulon, en 1832, quand au nom de l’ordre et de la Justice je réclamais du travail, et qu’avec la meilleure volonté du monde et mes vingt-trois ans, avec mon instruction classique et mon métier de typographe, je me trouvais propre à rien, et mis pour ainsi dire hors la société, comme un membre inutile ? Interprète du sentiment populaire, je protestais, comme le peuple a protesté lui-même en 1848 et comme il proteste tous les jours ; je protestais contre ce régime d’une absurdité sans nom, qui, tout en attribuant aux maîtres le produit net de la brasse ouvrière, ne leur permet pas cependant de garantir un travail qui les enrichit !

Et qui devais-je accuser de cette monstrueuse anomalie ? Ce n’était pas ce maire, qui après tout ne faisait que se renfermer dans ses attributions et son égoïsme, et qui en avait le droit ; ce n’était pas la Révolution de 1830, qui n’avait fait aussi que mettre en relief le vice mal guéri du régime antérieur ; ce n’était pas non plus la Révolution de 1789, qui, le dévoilant la première, n’avait pas eu le temps d’indiquer le remède.

Ce que je devais accuser, Monseigneur, c’était cette manie de spiritualisme et de transcendance qui dans un intérêt d’outre-tombe semble avoir pris à tâche de mettre sur cette terre tout sens dessus dessous ; qui a fait du travail en général une malédiction et de chaque métier une incapacité, comme elle a fait de la propriété un privilége, de l’aumône une vertu, de la science un orgueil,