être, de la quiétude et du progrès. L’homme ne sera dans la plénitude de sa beauté que quand il existera dans la plénitude de son intelligence, de sa liberté et de sa justice : jusque-là nos œuvres, si elles ne sont pas des critiques, tombent dans la fantaisie, la contrefaçon, le mensonge et la POSE.
Voyez toutes nos peintures de mythologie, de religion, d’histoire, de batailles, de genre : pas un personnage naturel ; tous sont contorsionnés, convulsionnés ou drapés en charlatans. Jusque dans leurs photographies, nos célébrités contemporaines posent. Les attitudes mêmes sont devenues typiques. Costume à part, on reconnaîtrait au geste, à l’expression de la tête, le guerrier, le tribun, le prêtre, le magistrat, l’ouvrier. La femme, à quelque condition qu’elle appartienne, n’a qu’une manière de poser, qu’un type ; ce type, le plus considérable de notre époque, type inconnu des Grecs, des Romains, des Italiens de la Renaissance, où la beauté divinisée, sanctifiée n’avait rien d’humain, c’est le type de la jolie femme[1].
- ↑ Le règne de la jolie femme est contemporain de celui des banquiers capitalistes, des bourgeois millionnaires, de la féodalité mercantile et industrielle, du régime constitutionnel, de la philosophie éclectique. La jolie femme est quelque chose d’essentiellement dix-neuvième siècle ; elle est ce qu’elle est, ce que nous savons tons, ce qu’il est impossible de définir, Elle peut ajouter à cela d’être paysanne ou bourgeoise, reine ou grisette, femme de banquier ou d’avocat, institutrice ou actrice, sérieuse nu dissipée, sage on légère, sotte ou spirituelle, mondaine ou dévote. — Elle peut être tout cela indifféremment. Ce que nous appelons une jolie femme peut s’accommoder de tout. Élégante et cossue, elle a fondé l’empire de la mode ; mais elle n’a jamais su créer un ensemble harmonique, et toutes ses fantaisies de chiffonnière sont au-dessous des costumes les plus anciens et les plus barbares : chinois, indiens, turcs, arabes, russes, suisses, etc. Elle a introduit,je ne sais comme, les corsets, les paniers et les crinolines ; elle a enlaidi les hommes, mêlant arbitrairement tous les costumes et ne sachant en créer ni conserver aucun. Elle fait de la promiscuité à sa manière en uniformisant le vêtement, sous prétexte de l’embellir. Elle associe volontiers les bijoux dévots à ses toilettes. Reine des bals, des eaux, des redoutes, des spectacles, des concerts et des fêtes, c’est à la clarté des bougies, des lustres, des illuminations, des feux d’artifice, que la jolie femme resplendit dans toute sa beauté et qu’elle ravit le cœur des princes, des militaires et des bourgeois ; c’est là qu’elle fait la conquête d’un mari, prélude, bien souvent, de tant d’autres conquêtes. Ce qu’elle est le matin, je l’ignore : belle de nuit, fleur des salons, elle se lève un peu tard, un peu pâle et fatiguée. Elle n’a rien de commun avec la fraîche Rosée, fille du Crépuscule et de l’Aurore, qui s’évanouit chaque matin aux baisers du Soleil levant. Il y a une littérature des jolies femmes, une musique des jolies femmes, un art des jolies femmes ; il y a même une science des jolies femmes. Mais il n’y a ni philosophie, ni politique, ni droit des jolies femmes, bien qu’il y ait une dévotion des jolies femmes. La jolie femme est capable de jalousie, bien différente de la femme forte de Salomon, qui prend en pitié son infidèle. Elle ne supporte pas la critique : alors elle fait rage, elle trépigne, elle égratigne ; elle jouerait du poignard. Heureusement sa main de jolie femme est incapable de porter des coups assurés. La jolie femme peut être coquine ; il répugne qu’elle soit criminelle : ce serait un monstre. Elle n’a le sublime ni de la vertu ni du génie ; son triomphe est dans les régions moyennes. Elle est la muse des poètes méconnus, le génie des esprits moyens, l’ange des idées modestes, des mœurs indulgentes, des vertus flexibles, la fortune des maris complaisants, la récompense des ambitieux sans principes, la fée des caractères effacés, la gardienne des capitulations de conscience.