Page:Proudhon - Idée générale de la Révolution au dix-neuvième siècle.djvu/251

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le cas d’insurrection serait posé au paysan. Il y aurait pour lui, de la part de ceux-là mêmes qui se diraient socialistes, menace de tyrannie.

Le second système semble plus libéral : il laisse le cultivateur maître dans son exploitation, ne le soumet à aucun conseil, ne lui impose aucun règlement. En comparaison du sort actuel des fermiers, il est probable qu’avec la longueur des baux et la modération des fermages, l’établissement de ce système rencontrerait peu d’opposition dans les campagnes. J’avoue, pour mon compte, que je me suis longtemps arrêté à cette idée, qui fait une certaine part à la liberté, et à laquelle je ne trouvais à reprocher aucune irrégularité de droit.

Toutefois, elle ne m’a jamais complétement satisfait. J’y trouve toujours un caractère d’autocratie gouvernementale qui me déplaît ; je vois une barrière à la liberté des transactions et des héritages ; la libre disposition du sol enlevée à celui qui le cultive, et cette souveraineté précieuse, ce domaine éminent, comme disent les légistes, de l’homme sur la terre, interdit au citoyen, et réservé tout entier à cet être fictif, sans génie, sans passions, sans moralité, qu’on appelle l’État. Dans cette condition, le nouvel exploitant est moins, relativement au sol, que l’ancien ; il a plus perdu qu’il n’a gagné ; il semble que la motte de terre se dresse contre lui et lui dise : Tu n’es qu’un esclave du fisc ; je ne te connais pas !

Pourquoi donc le travailleur rural, le plus ancien, le plus noble de tous, serait-il ainsi découronné ? Le paysan aime la terre d’un amour sans bornes, comme dit poétiquement Michelet : ce n’est pas un colonat qu’il lui faut, un concubinage ; c’est un mariage.

On allègue le droit antérieur, imprescriptible, inaliénable de l’espèce sur le sol. On en déduit, comme