Mais c’est précisément ce qui devrait être d’après l’histoire. C’est cette analogie fondamentale de la guerre, du travail, de l’état, de la famille, du gouvernement, de la religion, que Grotius était condamné à suivre, a peine de bâtir en l’air et de faire œuvre de fantaisie. Car si la guerre ne peut être considérée comme une lutte légale et légitime, appelée par la justice, motivée de part et d’autre par le plus grand et le plus sacré des intérêts, s’il n’y a point de droit de la guerre dans l’acception rigoureuse du mot, l’histoire tout entière devient inexplicable, absurde. Le système des sociétés repose sur une figure de rhétorique. S’il n’y a point de droit de la guerre, si l’on ne peut affirmer, avec certitude, qu’un tel droit soit une manifestation positive, sui generis, de la justice, il n’y a plus de raison dans l’histoire : le hasard est le roi de la terre ; les états sont établis sur l’iniquité ; le droit des gens devient une chimère ; les traités internationaux sont foncièrement nuls ; la civilisation se change en une tragi-comédie ; le règne hominal, comme disait Fourier, n’est pas autre chose que le règne animal, élevé à une puissance supérieure. Car, il n’y a rien, ni dans le droit des gens, ni dans le droit public, ni dans le droit civil ; rien dans les institutions et dans les mœurs, rien dans la religion et dans l’économie, qui ne repose originellement sur la guerre. La guerre nous a faits tout ce que nous sommes, et elle aurait agi sans droit ! Y avez-vous réfléchi, maître ?
Je sais que ce n’est ni la tradition, ni l’antiquité qui fait le droit ; que l’humanité a pu d’autant mieux se tromper que sa jeunesse l’exposait a plus d’ignorance, et que notre progrès ne se compose guère d’autre chose que des réformes que nous apportons incessamment à nos premières hypothèses. Mais ce n’est pas moins une chose extraordinaire que la justice ait pris pour point de départ ce que les juristes regardent comme sa négation, à savoir, la