Page:Proudhon - La Guerre et la Paix, Tome 1, 1869.djvu/155

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non-droit pour arriver au droit ; c’est en cela que consiste l’originalité de son système.

Dans l’état de nature, dit-il, tel que seulement nous pouvons le supposer en dehors de l’institution religieuse ; dans cet état où il n’y a point de législateur, puisque Dieu ne paraît point ; pas de lois, pas d’autorité ; où chacun est en guerre contre tous ; où la distinction du bien et du mal n’existe pas : quelle peut être la règle d’action de l’homme ? En autres termes, qu’est-ce que nous pouvons imaginer comme étant le mobile souverain de sa volonté, et par conséquent la loi de son existence ? C’est évidemment qu’il doit tout faire pour éviter la mort et la souffrance. Le sens commun le dit : la conservation de son corps et de ses membres, par tous les moyens possibles, voilà, pour l’homme à l’état de nature, l’unique et véritable loi, le dictamen de la pure et droite raison.

Hobbes tire de là sa définition du droit, celle qui lui servira pour échafauder son système : Tout ce que l’homme à l’état de nature peut faire rationnellement, ou, pour mieux dire, logiquement, envers et contre tous, en vue de conserver son corps et ses membres, je dis que cela est fait justement et de droit, id juste et jure factum dicam. En sorte que le fondement du droit, selon Hobbes, est que chacun conserve, autant qu’il est en lui, son corps et ses membres, ut quisque vitam et membra sua, quatenùs potest, tueatur.

Il est manifeste qu’un semblable droit, impliquant, Hobbes le dit de la manière la plus expresse, la faculté de tuer et de voler, n’est pas du droit : c’est du non-droit. L’idée de droit implique respect mutuel, convenance réciproque : si la convenance n’existe que d’un côté, si elle est unilatérale, c’est du pur égoïsme. Voilà pourquoi j’ai dit que Hobbes partait du non-droit pour arriver au droit, de même que Hegel, dans sa métaphysique, part du néant