Page:Proudhon - La Guerre et la Paix, Tome 1, 1869.djvu/244

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exploite la plèbe bien au delà de ce que permet le droit de la force. Bientôt même la supériorité de force, qui dans l’origine avait constitué l’aristocratie, passe du côté du peuple ; et l’on voit les nobles, sans intelligence de leur privilége, revendiquer le bénéfice de la force quand déjà la réalité leur manque, parler de leurs droits seigneuriaux quand ils n’ont plus rien, ni comme individus, ni comme caste, de ce qui fait la seigneurie.

Il y a donc révolution, et révolution au nom de la force.

La brochure de Sieyès, Qu’est-ce que le tiers État ? n’a pas d’autre sens. De même que tout despotisme se résout, en vertu de la force et du droit qui lui appartient, en aristocratie ; de même toute aristocratie finit à son tour en bourgeoisie et roture. C’est fatal, et c’est juste.

Ici une nouvelle modification du droit de la force se produit. Par l’institution nobiliaire le droit de la force s’était combiné avec celui de la famille ; il était devenu droit de naissance : par l’avènement de la démocratie il devient droit du nombre ou de la majorité. La force de collectivité, voilà le point de départ et la base du contrat social.

En vertu de ce contrat, d’ailleurs purement fictif et tacite, chaque citoyen est censé faire volontairement abandon d’une partie de sa force, de sa liberté et de sa propriété, afin de créer une force publique, capable de vaincre toutes les résistances particulières, et qui assure à tous justice et protection[1].

  1. Cette manière d’interpréter le contrat social est très-différente de celle de Rousseau.
      D’après le philosophe de Genève, la souveraineté du peuple procède de la réunion des volontés individuelles, librement exprimées ; d’où il suit que le droit de l’homme, origine du droit de la nation, a son siège dans la volonté de l’homme.