Page:Proudhon - La Guerre et la Paix, Tome 1, 1869.djvu/294

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immenses, dans une longue vallée, vivent et se multiplient pendant quelque temps dans une entière indépendance. A mesure qu’elles prennent de l’accroissement, elles se forment en petits États, qui bientôt, obéissant à la loi de leur expansion, finissent par arriver au contact. D’abord, une question de bornage s’élève : elle se décide par le droit ordinaire ; du moins elle en est susceptible. Mais cette situation ne saurait être de longue durée. La pression des tribus les unes contre les autres rend leurs mouvements difficiles ; des difficultés de toute sorte surgissent pour les passages, les servitudes ; des croisements s’opèrent, des alliances se contractent, sans compter les embarras de la subsistance. Bref, il devient nécessaire que ces hordes, tribus, cités, clans se résolvent en un petit nombre d’états, en une république ou royaume : ce qui entraîne, pour la plupart de ces États microscopiques, la perte de l’individualité et de l’indépendance. Le litige, qui d’abord semblait devoir se réduire à une question de propriété ou de commerce, devient tout autre ; il y va de l’existence, non des personnes, mais des communautés politiques. Y a-t-il lieu, oui ou non, à une incorporation ? C’est en ces termes que se pose le débat. En cas d’affirmative, qui obtiendra la prépotence ? Quel état donnera aux autres son nom, sa loi, sa langue, ses dieux ? Où sera le foyer d’absorption ? Telle est la question qui préside à toute guerre, et dont la jurisprudence de l’école ne tient aucun compte ; question qui ne se peut évidemment décider que par la force ; dont la solution par conséquent exige une lutte, dans laquelle il y aura nécessairement du sang répandu, des richesses englouties, une nationalité sacrifiée ; mais qui, en définitive, du point de vue élevé du droit international et du progrès, n’est rien de plus qu’un acte judiciaire.

Notre mollesse ne peut se faire à l’idée d’une semblable tragédie. Cette justice sanglante nous répugne : c’est pour-