Page:Proudhon - La Guerre et la Paix, Tome 1, 1869.djvu/68

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pacifiques. Moi aussi, j’en préviens dès à présent mes lecteurs, je conclurai contre le statu quo guerrier, contre les

    milieu, est comme l’âme d’un Platon à qui Dieu aurait ordonné, après sa séparation d’avec le corps qu’elle animait, d’habiter le corps d’un tyran du Soudan ou du Dahomey. Jusqu’à ce que cette naturalisation de l’Américain se soit accomplie, il ne sera qu’un membre détaché du tronc indo-germanique, et, pour ainsi dire, un exilé de la grande civilisation. L’influence de l’indigénat n’agissant pas sur son être, l’esprit vivant des traditions se perdant ou se réduisant à de vagues et lointains souvenirs, une dégénérescence doit s’ensuivre nécessairement pour toutes les choses qui tiennent à la vie sociale. Pour n’en citer qu’un exemple, le peuple américain, qui a débuté par la plus absolue liberté (liberté négative, notez bien}, n’a pas du tout suivi le mouvement d’où il est sorti. De même que sa religion, au lieu d’aboutir à une philosophie pratique, est tombée en superstition et cafarderie, de même son prétendu démocratisme s’est arrêté au plus abject individualisme. Ce n’est pas aux États-Unis, enfin, qu’a surgi l’idée d’un Droit économique, l’idée d’une constitution sociale de l’humanité, d’une égalité et d’une fraternité de tous les hommes. Le fier Yankee n’a pas le moindre soupçon de la transformation qui se prépare dans la vieille chrétienté, et dont ses enfants recevront un jour le bienfait sans en a voir eu le pressentiment.
      L’appauvrissement que nous venons de relever chez l’Américain du côté de l’esprit, se fait sentir dans les mœurs Qu’est-ce, en définitive, que la société américaine ? Une plèbe subitement enrichie. Or, la fortune, loin d’urbaniser l’homme du peuple, ne sert le plus souvent qu’à mettre en relief sa grossièreté. On connait le mot de Talleyrand sur les Américains : je ne le rapporterai pas, mais il y a incontestablement du vrai. Le peuple américain exagère encore l’esprit utilitaire du peuple anglais, duquel il est sorti en majorité ; chez lui, l’orgueil britannique est devenu de l’insolence ; la rudesse, de la brutalité. La liberté, pour l’Américain, peut se définir : La faculté de faire tout ce qui est désagréable à autrui. — Défendez-vous vous-mêmes, c’est sa maxime. J’avoue franchement que pour me faire raison d’un grossier personnage, je préfère le secours du gendarme et, au besoin, du geôlier ; c’est tout ce que mérite la grossièreté. On vous lue, on vous vole, on vous assassine : Défendez-vous vous-même ! En certains cas, il y a la loi de Lynch, je crois que c’est ainsi qu’on la nomme. Sur la clameur publique, le coupable est arrêté, jugé et pendu ; tout cela est l’affaire de quelques minutes. C’est la justice du peuple, dans les Journées de février ; c’est aussi la justice des conseils de guerre. J’aime mieux celle du jury. La banqueroute, même frauduleuse, la plus frauduleuse qui se puisse voir, ne déshonore pas un Américain (Revue Britannique). Les commerçants européens savent ce qu’il en est des crises américaines. L’Américain, arrivant en Europe et entrant dans le salon d’un hôtel,