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rière, héroïne ; elle se fait amazone. Pour un dieu de la guerre. Ares ou Mars, il y a quatre déesses, Bellone, Pallas, Diane chasseresse et Vénus, oui, Vénus elle-même, la Bellatrix.

Mars fut toujours ami de Cythérée,

a dit Voltaire. Il ne croyait pas, le poëte frivole, exprimer une pensée aussi sérieuse. Quelle histoire, que celle d’Abigaïl, femme de Nabal le riche, et de David, le guerrier vagabond, le roi sans avoir, le conquérant sans feu ni lieu ! Toute bourgeoise raffole de l’uniforme. Pour suivre son héros, la femme ne connaît ni périls ni serments. O Jupiter, toi seul fus coupable des infortunes de Vulcain. De quoi t’avisais-tu, père de famille, de donner Vénus à un forgeron[1] ?

Le peuple est de l’avis des femmes. Partout l’homme de guerre est noble ; il fait caste. L’esclave n’a pas le droit

  1. Entre l’homme et la femme, la guerre crée une inégalité colossale, irréparable. Pour quiconque aura une fois compris cette grande loi de notre nature, la guerre, le seul fait de l’incapacité militaire de la femme en vaut des millions. La femme n’a vraiment d’existence que dans la famille. Hors de là, toute sa valeur est d’emprunt : elle ne peut être rien, et elle n’a le droit de rien être, pour la raison décisive qu’elle est inhabile à combattre. Parmi les partisans de l’égalité des sexes, les uns, prenant au pied de la lettre des fictions ingénieuses, oui prétendu que la femme pouvait, aussi bien que l’homme, devenir garde national, cavalier et fantassin. et n’ont pas hésité à lui donner la cape et l’épée. Mais l’habit militaire ne sera jamais pour la femme qu’un déguisement amoureux, une fantaisie sans réalité, un véritable acte d’adoration adressé par le sexe faible au sexe fort. Les Jeanne d’Arc se comptent dans l’histoire ; pour une héroïne il y a des millions de héros. D’autres ont cru tourner la difficulté en niant purement et simplement la guerre et en faisant de son abolition le signe de l’avénement des femmes à l’égalité civile et politique : ce qui est renvoyer l’époque de cet avènement aux calendes grecques. Qu’ils fassent mieux : qu’au lieu d’ôter à l’homme ses attributs guerriers, ils lui enlèvent tout de suite le sceau de la virilité. Mais alors les femmes n’en voudront plus : qu’aimeraient-elles, en effet, si elles n’aimaient plus fort qu’elles ?