Page:Proudhon - La Guerre et la Paix, Tome 1, 1869.djvu/83

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terre, que la république de 1848 essaya, mais en vain, d’importer parmi nous. Il eût ri de pitié, en voyant une assemblée française, nommée par le suffrage universel, décider gravement, comme article de la constitution, que le président de la république ne pourrait commander l’armée en personne. Les républicains, se croyant parvenus à l’âge d’or de la liberté, avaient prétendu faire du chef de l’État un magistrat purement civil. Ce fut un scandale énorme quand Louis-Napoléon parut aux revues de Satory sous l’uniforme de général. Mais les vrais auteurs du scandale étaient les auteurs de la Constitution, qui, par cette réserve étrange, heurtaient de front le sentiment populaire, et, j’ose le dire, la raison des choses. Un chef d’état non général, à une époque frémissante d’idées guerrières, c’était absurde. Le peuple en jugea ainsi. Il y a de ce jugement, qui fit passer Louis-Napoléon de la qualité de président en habit noir à celle d’empereur à grosses épaulettes, une raison profonde, qu’on n’a pas remarquée.

Le latin imperator, empereur, est le correspondant grammatical du grec tyrannos, ou kyranos, maître, patron, commandant, duquel nous avons fait tyran. D’où vient que le nom latin est si bien porté, tandis que le grec est si mal vu ? La faute en serait-elle seulement à Platon, qui, écrivant pour le gouvernement des aristocrates, et voulant déshonorer la tyrannie plébéienne, a fait du tyran une espèce de monstre ? Il est possible que Platon y soit pour quelque chose ; mais il y a une raison que Platon n’a pas dite : c’est que l’empereur est un général d’armée, tandis que l’autre est un chef d’administration et de police, un bourgmestre. Les armes relèvent le despotisme ; le commandement est odieux entre égaux et hors du service. C’est pour cela que le peuple français est sans respect pour ses représentants, de même que pour ses rois constitutionnels. N’avons-nous pas entendu traiter Louis-Philippe