Page:Proudhon - La Guerre et la Paix, Tome 1, 1869.djvu/92

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sait quand, comment et pourquoi elle vient ; quand, pourquoi et comment elle s’en va. Comme la guerre, elle a sa place dans toutes nos pensées ; elle forme, avec celle-ci, la première et la plus grande catégorie de notre entendement.

Certes, la paix doit être une réalité positive, puisque nous l’estimons le plus grand des biens. Comment se fait-il que l’idée que nous nous en faisons soit purement négative, comme si elle répondait seulement à l’absence de lutte, de fracas et de destruction ? La paix doit avoir son action propre, son expression, sa vie, son mouvement, ses créations particulières : comment se fait-il qu’elle ne soit toujours, dans nos sociétés modernes, que ce qu’elle fut dans les sociétés anciennes et jusque dans les utopies politiques des philosophes, le rêve de la guerre ?

Depuis quarante-cinq ans, l’Europe est au régime des armées permanentes ; et les économistes de déclamer contre cette énorme et inutile dépense. Ainsi faisaient les anciens : pendant la paix ils se préparaient à la guerre. Ainsi le recommandèrent à toutes les époques, depuis Platon jusqu’à Fénelon, ceux qui se mêlèrent d’enseigner les peuples et les rois. Tant que la paix dure, on s’exerce au maniement des armes, on fait la petite guerre. Depuis quarante siècles que l’Humanité fait de la théologie, de la métaphysique, de la poésie, de la comédie, du roman, de la science, de la politique et de l’agriculture, elle n’a pas imaginé, pour ses moments de répit, d’autre distraction, de plus agréable délassement, de plus noble exercice. Homme de paix, qui nous prêchez le libre échange et la concorde, savez-vous seulement que ce que vous proposez à notre raison de croire et à notre volonté de pratiquer, est un mystère ?