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Page:Proudhon - La Guerre et la Paix, Tome 2, 1869.djvu/134

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tion, les débâcles financières, la stagnation des affaires, l’accroissement des dettes, lui montrent assez clairement ce qu’il doit penser de ces rêves de Cocagne.

D’où vient maintenant cette inégalité choquante ?

On pourrait incriminer la cupidité, qu’aucune félonie n’arrête ; l’ignorance de la loi des valeurs ; l’arbitraire commercial, etc. Ces causes ne sont certainement pas sans influence ; mais elles n’ont rien d’organique, et ne tiendraient pas longtemps devant la réprobation générale, si elles ne se rattachaient à un principe plus profond, plus respectable, et dont l’énergie mal appliquée produit tout le mal.

Ce principe est le même que celui qui nous fait chercher la richesse et le luxe et nous passionne pour la gloire ; le même que celui qui engendre le droit de la force, plus tard le droit de l’intelligence, et finalement le droit même du travail : c’est le sentiment de notre valeur et dignité personnelle, sentiment d’où naît le respect du semblable et de l’humanité tout entière, et qui constitue la justice.

Une conséquence de ce principe de la dignité humaine, point de départ de toute justice, mais qui ne deviendra véritablement de la justice que par une longue éducation de la conscience et de la raison, c’est que d’abord non-seulement nous nous préférons en tout et pour tout aux autres, nous étendons cette préférence arbitraire à ceux qui nous plaisent, et que nous appelons nos amis.

Chez l’homme le plus juste il existe une disposition à estimer et à servir le prochain, non pas d’après le mérite du sujet, mais selon la sympathie qu’inspire sa personne. Cette sympathie est ce qui produit l’amitié, chose si sainte ; ce qui sollicite la faveur, chose libre de sa nature autant que la confiance et qui n’a rien encore d’injuste, mais qui bientôt produit les passe-droits, l’acception des personnes, le charlatanisme, les distinctions sociales et les