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Page:Proudhon - La Guerre et la Paix, Tome 2, 1869.djvu/215

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unitaire. Avec quelle peine cependant l’idée élevée de la conquête se dégage de la pensée ignoble du pillage !

Bonaparte, le plus désintéressé de nos généraux, le plus indifférent à la richesse, le plus franchement conquérant, donne d’abord cet exemple rare, pour lequel on l’a justement loué : de ne rien prendre pour lui-même. C’est au trésor de l’armée, aux musées nationaux qu’il destine les contributions qu’il lève, ainsi que les dépouilles des églises, des couvents, des palais, qu’il fait enlever par ses commissaires, et qu’il envoie à Paris comme ses plus glorieux trophées. Le droit de la guerre, je n’ai plus à revenir sur ce point, n’admet aucune spoliation, même sous ce noble prétexte ; et quelque orgueil que nous ressentions à contempler dans les salles du Louvre ces chefs-d’œuvre d’une nation vaincue par nos armes, il faut le reconnaître généreusement, il ne nous était pas permis de les prendre. Mais, comme la justice a son progrès, il faut aussi confesser en même temps que la conduite du général Bonaparte est un des faits qui honorent le plus la république.

Plus tard, devenu empereur, il disait à ses généraux : Ne pillez pas, je vous donnerai plus que vous n’auriez pris. Je sais bien qu’ici encore c’était l’ennemi qui faisait les frais de ses distributions. Mais n’était-ce rien que de faire cesser le pillage et le gaspillage, et de réduire le droit de butiner à une simple contribution de guerre ? Ici, je me plais à le reconnaître, car l’empire me fournit assez d’autres occasions de critique, Napoléon marchait dans le droit comme il marchait dans ses conquêtes. Un économiste a fait le calcul approximatif des recettes extérieures encaissées par Napoléon de 1806 à 1810 : le chiffre pour ces cinq années est d’un milliard sept cent millions. Soit, les étrangers ont le droit de se plaindre ; 1814 et 1815 les ont dédommagés. Ce qui vient de la flûte, dit le proverbe, s’en va au tambour : souvenons-nous-en, et ne pillons plus.